Alain Touraine propose, Ségolène dispose…

mai 19, 2008 on 4:18 | In France | Commentaires fermés

Ségolène Royal a fait aujourd’hui savoir à la presse qui, pour le coup, a relayé l’information, qu’elle avait écrit un nouvel ouvrage en collaboration avec Alain Touraine ; l’heure n’est plus à l’étalage du pathos sentimental de la femme trompée chez Drucker ni à la glorification des pensées participatives des femmes de ménage du Poitou, mais bien plutôt à la recherche d’un crédit intellectuel qui, JusMurmurandi le devine, ne pourra être trouvé que chez un tiers. Mais nous étions prévenus, la candidate, après la présidentielle, s’était imposée une cure de « densification personnelle » (JusMurmurandi en rit encore) et nous assistons enfin à une des étapes de celle-ci.

 

Pour ce faire, Alain Touraine, sociologue de gauche dont seule l’existence de Raymond Boudon interdit de faire de l’expression précédente un parfait pléonasme, constitue l’interlocuteur idéal : donnant un lustre intellectuel à la malheureuse candidate puisque « sociologue », l’homme aura en outre le mérite de n’être pas trop contrariant, puisque « de gauche » quoique rocardien.

 

Pourtant, JusMurmurandi s’amuse de voir les périphrases retenues par la Madone pour qualifier la rencontre entre l’illustre sociologue et sa propre personne : « articulation entre un intellectuel, un sociologue, un acteur de la société, et l’action politique. »[1] Trois mots seulement pour la Madone, neuf pour Touraine ; mais il ne faudrait pas se laisser impressionner par le quantitatif, toute la saveur de la déclaration s’évanouirait… Relisons ce petit bout de phrase, magnifique. Touraine est, pour la Madone, « un » intellectuel, « un » sociologue, « un » acteur de la société,  c’est-à-dire un individu parmi d’autres, certes un peu plus connu puisque reconnu et un peu plus valable puisque de gauche, mais il demeure une personne incarnée, individuéé. Royal, quant à elle, n’est pas « une responsable politique », ni « une candidate », mais « l’ » action politique en personne ; l’ouvrage n’est pas un débat entre « un intellectuel » et « une femme politique » mais entre un individu et un principe ; Royal est l’action politique, elle est l’incarnation du politique, tandis que son interlocuteur demeure englué dans sa désolante particularité, fût-elle brillante. Amusante répartition des rôles…

 

Par conséquent, Touraine n’est autre que l’individu dépassé par le politique, la particularité corrigée par l’universel incarné par Ségolène. JusMurmurandi ne s’étonne donc pas de voir la Madone déclarer à la presse les mots suivants : « Alain Touraine a écrit sa partie (…) et j’apporte ma vision des choses, ma nuance sur ce qu’il dit.[2] »[3] JusMurmurandi redit son amusement : habituellement, l’appel aux intellectuels permet de substituer aux slogans primaires politiques un minimum de réflexion et de nuance, d’introduire la complexité dans l’évidence manichéenne du fait politique. Mme Royal procède à rebours : elle fait appel à un intellectuel pour avoir le plaisir de nuancer le propos de son interlocuteur, de le modérer, de le corriger même. Au point où on en est, on se prend à s’étonner que Touraine n’ait pas fait appel plus souvent à Royal pour « nuancer » et corriger ses ouvrages par quelques considérations sur le chabichou dans une étude consacrée aux mouvements sociaux.

 

Au fond, Alain Touraine ne joue dans cette histoire que le rôle de l’individu participatif ; Royal ne lui demande pas des idées, elle recueille ses opinions ; Touraine ou Mme Michu, ce n’est qu’une question de prestige, de rayonnement médiatique. Elle eût pu choisir n’importe quel individu citoyen et festif de ses débats participatifs, la démarche eût été similaire : demander des opinions, de simples opinions, ou dans le langage de Royal lors de la conférence de presse, des « conseils »[4]. Et ces précieux conseils participatifs, ces opinions déifiées, Royal se sent investie du devoir de les sélectionner et de les transformer en « politiques opérationnelles »[5] comme pour confirmer, une fois de plus, que si l’homme propose, la femme dispose…



[1] Dépêche AFP du 14 mai 2008

[2] C’est JusMurmurandi qui souligne

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

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