Le pétrole est-il fou?

juin 8, 2008 on 7:23 | In Economie, France, Incongruités, International | 3 Comments

Vendredi dernier, le cours du pétrole a battu 2 records. L’un un record de valeur absolue, à près de 139$ pour un baril. L’autre, plus extravagant encore, de plus de 10$ de progression en une seule journée. Une journée, « normale », sans Guerre du Golfe, sans typhon sur le Golfe du Mexique, sans attentat contre la capacité de production nigériane, bref, sans évènement « rationnel » qui entraine une forte augmentation du prix de l’or noir.

Et, sans évènement majeur, rien ne saurait causer une telle hausse. Certainement pas un quelconque déséquilibre entre offre et demande, car, il faut le rappeler, il n’y a pas de pénurie de pétrole. Tous les consommateurs sont servis à chaque fois qu’ils veulent remplir le réservoir de leur voiture ou leur cuve de fuel, et les entreprises de même.

Alors d’où vient un tel record? De l’offre et de la demande, qui fixe le prix à tout moment. Et, visiblement, la demande est plus forte que l’offre. Mais l’essentiel de la demande est financière, par des opérateurs qui veulent gagner de l’argent en achetant et revendant un pétrole qu’ils ne voient ni ne consomment jamais.

Cette demande financière n’est pas nouvelle. Sur les devises, comme le dollar ou le yen, plus de 99% des transactions sont financières c’est-à-dire non liées à des échanges physiques. JusMurmurandi observe, au passage, que le dollar est aussi à un cours très bas que l’état de l’économie américaine ne justifie pas non plus.

Faut-il pour autant condamner la sphère financière, les hedge funds et autres fonds spéculatifs? Ce serait oublier un peu vite que ces mêmes acteurs sont ceux qui ont fourni une bonne partie du carburant de la croissance des 15 dernières années. Et oublier que leurs actionnaires sont les innombrables retraités et futurs retraités dont ils gèrent les fonds, et non de quelconques « spéculateurs internationaux » dont le procès en sorcellerie en rappelle d’autres de sinistre mémoire.

Cela étant, il faut raison garder. Ce n’est pas parce que le pétrole touche, sur le marché, un prix de 139$ un jour que tout le monde le paie ce prix là, loin s’en faut. L’immense majorité du négoce de pétrole se pratique avec des contrats à long terme dont les prix sont beaucoup plus stables, et donc peu affectés par l’hystérie du quotidien. Ainsi, Air France a-t-elle déjà « verrouillé » 60% de ses achats de kérosène pour 2008 à des prix très inférieurs au record de vendredi. Condamner le mécanisme du « pétrole fou », c’est aussi empêcher Air France de protéger ses prix d’approvisionnement.

Autre point, noté dans un reportage de France 2: le pétrole, à ce nouveau record, n’est pas le plus cher de notre histoire si on l’exprime en prix de l’essence par rapport au SMIC. En 1974, après le premier choc pétrolier, une heure de travail au SMIC suffisait à payer 3,4 litres d’essence; Aujourd’hui, elle en paye 4,5, ce qui veut dire qu’exprimé en « minutes de SMIC », l’essence d’aujourd’hui est moins chère d’au moins 20%.

Mais cela, qui s’en soucie? Il est tellement plus simple (et simpliste) de faire droit à la clameur de la foule…

3 commentaires

  1. Pour aller dans ton sens, il faut lire ce billet.

    Commentaire by Polydamas — 9 juin 2008 #

  2. « le pétrole, à ce nouveau record, n’est pas le plus cher de notre histoire »

    Allez expliquer cela aux pêcheurs ou à ceux qui sont obligés de faire un long trajet pour se rendre à leur lieu de travail. Parfois vous me faites penser à ces journalistes économiques qui nous expliquent doctement que le capitalisme est un processus de destruction créatrice, comme l’a théorisé Schumpeter, ce qui justifie les délocalisations et les plans sociaux. La belle affaire de savoir cela quand on vient de recevoir sa lettre de licenciement. En attendant, il y en a qui rament dur pour essayer de joindre les deux bouts. On voit bien que vous n’avez pas la hantise des fins de mois difficiles.

    Commentaire by Sébastien — 9 juin 2008 #

  3. Merci, Polydamas de ce lien vers un excellent article.
    Sébastien, l’article n’a pas pour but de dire que telle chose est « bien » ou « pas bien », mais de pointer du doigt le déficit d’information économique qui, une fois de plus, frappe la société française.
    Un pétrole cher est évidemment un handicap pour les plus économiquement faibles. Le dire est enfoncer une porte ouverte. Mais il faut bien se préparer au fait qu’un jour il n’y en aura plus, spéculation ou pas, et que, plus tôt l’économie française s’y prépare, le mieux ce sera. Et, de ce point de vue là, comme sur le plan écologique, un pétrole cher n’a pas que des inconvénients.
    Pour le reste de votre argumentation, mettre dans le même sac délocalisations, licenciements, Schumpeter et le pétrole cher, c’est exactement ce contre quoi JusMurmurandi s’élève, à savoir une forme de populisme démago-ignare (ce que vous n’êtes pas) à destination d’un public présumé idiot et prêt à croire à n’importe quelle chanson. Lequel populisme est porteur de lendemains qui déchantent, quand les Français comprennent que les politiciens qui ont la promesse (ou la protestation, selon qu’ils sont dans la majorité ou dans l’opposition) facile ne sont pas ceux qui paient la note. C’est comme cela qu’on se retrouve avec un endettement public aussi vertigineux qui sera payé par les générations futures. Quant aux pays qui pratiquent la subvention des prix de l’énergie, qui serait un remède à ce que vous dénoncez, je ne trouve pas qu’ils soient autant de modèles attrayants pour la société française.

    Commentaire by JM2 — 9 juin 2008 #

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