Récit de drames politiques ordinaires sous le ciel d’Afrique

septembre 21, 2008 on 6:52 | In Best of, Incongruités, International | Commentaires fermés

La vie politique de l’Afrique australe ne ressemble décidément à aucune autre. Déjà le Zimbabwe en donnait un flagrant exemple, avec le vieux Robert Mugabe qui a réussi à s’accrocher au pouvoir après avoir perdu et une élection législative et le premier tour d’une présidentielle dont le deuxième le vit seul en lice après le désistement de son rival effrayé par une campagne de massacres contre lui et les siens.

C’est Thabo Mbeki, président de la puissante Afrique du Sud voisine qui fut chargé de a médiation entre Mugabe et son adversaire Tsvangirai, lequel Mbeki fut considéré par beaucoup comme beaucoup trop conciliant avec Mugabe. Même si, la semaine dernière, les deux adversaires zimbabwéens signèrent un accord de partage du pouvoir, personne ne sait ce qui va se passer dans le pays vu l’ambiguité du texte, qui prévoit que les ministres fassent partie de deux instances, l’une présidée par Mugabe, qui reste Président, et l’autre par Tsvangirai, qui devient Premier Ministre. Ambiance…

Le plus curieux, c’est qu’alors qu’on attendait une sortie de la scène internationale ignominieuse de Mugabe, c’est Thabo Mbeki qui vient d’annoncer sa démission. Il faut dire qu’il n’avait pas trop le choix, son propre parti l’ayant exigé.

A première vue, rien d’étrange là-dedans pour un pays qui a longtemps été influencé par la culture et l’héritage institutionnel britannique. Après tous, Margaret Thatcher et Tony Blair, chacun la personnalité politique la plus marquante de leur temps, et la plus longtemps au pouvoir aussi, n’ont-ils pas été chassés par leurs partis respectifs?

Non, ce qui est curieux, c’est la façon dont cela se passe. Thatcher et Blair ont été poussés dehors pour faire de la place de peur que les élections à venir ne conduisent leur parti à la catastrophe. Mbeki est poussé dehors alors que l’ANC, son parti et celui de Nelson Mandela est absolument sûr de gagner. C’est Jacob Zuma, son charismatique leader qui sera le prochain président sud-africain.

Sauf que Zuma n’est pas n’importe quel candidat. Combien au monde osent se présenter après avoir échappé à une condamnation pour viol faute de preuves, sous le coup d’un procès pour corruption, et faisant l’objet d’accusations de harcèlement sexuel? Voilà plus qu’il n’en faut pour couler définitivement la carrière de n’importe quel homme politique en occident.

Sauf que, encore, le procès pour corruption a été reporté, pour cause de « motivation politique », c’est-à-dire attribué spécifiquement à Thabo Mbeki après que celui-ci eût perdu au congrès de Polakwane la lutte qu’il menait contre Zuma pour le contrôle de l’ANC. On se demande bien en quoi le fait que l’action judiciaire soit, le cas échéant, à l’instigation du Président, fait que Zuma est ou non innocent d’avoir touché des pots de vin. Du vin français, d’ailleurs, car il s’agirait de Thalès.

Mais pourquoi virer Mbeki dans tout cela? Parce que la justice sud-africaine, nominalement indépendante, a décidé de maintenir les poursuites contre Zuma, et que l’ANC pense que ceci ne cessera pas tant que Mbeki sera président. Ce qui montre ce que l’ANC pense de ladite indépendance.

Mbeki est également peu populaire pour avoir géré l’Afrique du Sud « à l’occidentale » (toutes proportions gardées), ce qui a engendré un spectaculaire redressement économique, l’émergence d’une puissante classe moyenne noire inconnue du temps de l’Apartheid, et déçu les nombreux pauvres du pays, qui auraient voulu toucher plus vite les fruits d’une prospérité qu’ils veulent généreuse pour eux même s’ils ne travaillent pas. Il ne faut pas s’en étonner quand on sait le poids des syndicats et du parti communiste dans la coalition au pouvoir en Afrique du Sud.

Là, la ressemblance avec l’Europe n’est pas avec la Grande-Bretagne, mais avec la France, où la gauche se fait éjecter à chaque fois que, la politique de distribution généreuse mais à crédit perpétuel ayant trouvé ses limites (celles de la faillite du pays), elle se met à gérer avec le sens du réel et du possible, puis se fait virer aux prochaines élections.

Sauf que, comme Zuma, Mbeki n’est pas non plus un homme politique commun. Notamment pour sa dénonciation des précautions et thérapies occidentales contre le SIDA, auxquelles il préfère un remède à base d’ail, de citron, de patates et d’huile d’olives. Sa déclaration, en 2003, qu’il ne connaissait personne qui soit mort du SIDA, ne manqua pas de scandaliser dans un pays où ce fléau fit cette année-là 370.000 morts.

Comme on le voit, cette affaire est typique de l’Afrique australe, et impossible sous nos climats, où les moeurs politiques sont autrement civilisées, et policées. Jamais on n’imaginerait un Premier Ministre UMP lançant une affaire de comptes à l’étranger contre un autre UMP futur candidat à la présidentielle. Jamais on n’imaginerait cet autre candidat ripostant par l’intermédiaire de la Justice pour que la procédure handicape la candidature rivale du Premier Ministre. Jamais on ne trouverait un grand parti de gauche, c’est-à-dire chargé de la tâche noble et exigente de la défense des plus démunis, qui perde le sens de l’intérêt national dans les luttes de marigot pour le contrôle du parti.

Non, vraiment, ces évènements ne peuvent se passer qu’en Afrique australe, dans ce territoire que Kipling chantait, où l’oiseau Kolokolo encourage le naïf éléphanteau à plonger son nez dans la rivière Limpopo où maraude le crocodile qui cherche son dîner.

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