Portrait du Canard enchaîné en Pinocchio impénitent

novembre 23, 2008 on 5:45 | In Coup de gueule, France, Incongruités, Insolite | Commentaires fermés

JusMurmurandi aimerait faire part d’un amusement récurrent qui l’envahit chaque mercredi, lorsqu’il passe devant les quelques kiosques à journaux encore existants : le jour nommé, chaque semaine, paraît un journal au titre prétendument provocant, Le Canard enchaîné, dont il est chaque jour plus évident que le titre ne peut se comprendre que par son « enchaînement » à l’idéologie dominante et au ressentiment des mesquins. Organe de presse qui se dit indépendant – c’est-à-dire de Gauche – et financièrement affranchi de la publicité, ce journal semble conçu pour flatter la bassesse d’un lectorat avide de mesquinerie, bassesse grâce à laquelle ce dernier se gargarise de côtoyer les phrases off des grands de ce monde ; convaincu de faire preuve d’un esprit critique dont il s’éblouit lui-même, le lecteur de ce journal ne songe pourtant pas la moindre seconde à faire preuve d’esprit critique à l’égard de son journal de référence.

 

Tel est le paradoxe du Canard enchaîné qui, au fond, fait sourire JusMurmurandi : nul ne saurait être plus convaincu que le lecteur du Canard enchaîné de sa propre pénétration des choses, de sa lucidité sur la réalité de la politique, et de la puissance de son sens critique : côtoyant les Puissants par le verbe – c’est la différence avec Gala ou Voici qui se contentent des photos –, le lecteur se délecte de ces petites phrases à l’origine parfaitement invérifiée et, la plupart du temps, fausses, qui lui permettent d’éprouver l’ivresse d’ « en être », et de faire partie de ceux à qui, grâce à la connaissance colossale des dessous de la politique que lui délivre chaque semaine le Canard, on ne la fait pas… Mais derrière ce vertige de se croire introduit dans les petits secrets de la Haute, sur un mode bien entendu critique, se dissimule de la part du lecteur une extraordinaire absence de sens critique, tant l’hypothèse que ces informations, dont le principe est pourtant de taire la source, puissent être entièrement fausses ou mensongères ; pareille hypothèse, pourtant hautement plausible ne serait-ce qu’en vertu de la totale invérifiabilité des sources de l’information, situation unique dans la presse, ne saurait effleurer l’esprit de notre lecteur, néanmoins convaincu de sa propre lucidité. Et là nous pouffons.

 

Pourquoi donc, se demande JusMurmurandi, observe-t-on tant d’aveuglement de la part de ceux qui se croient impertinents et capables de distance alors même qu’ils accordent une confiance précisément aveugle à cet étrange journal ? La réponse, hélas, est toujours la même : Le Canard enchaîné dérange. Comprenez : il n’est pas sarkozyste. Etant situé de facto du bon côté de la ligne, la possibilité même qu’il mente fait de celui qui pose la question ou qui s’interroge un thuriféraire de l’Ignoble – entendez : toujours le même Sarkozy.

 

Mais les faits sont pourtant là : pour quelques scoops, inlassablement répétés car fort peu nombreux – les diamants de Giscard, l’affaire Papon, ou la détestable affaire Gaymard – combien de mensonges, combien d’erreurs, combien de désinformations ! De Gaudin accusé d’avoir tué Yann Piat aux vrais faux appartements de Sarkozy, du silence sur l’affaire de la fille de Mitterrand au Rainbow Warrior, le Canard enchaîné s’est surtout illustré par une succession de mensonges et de lâchetés, exprimés en toute impunité sous le masque usurpé de l’insolence et de l’impertinence. On ne saurait, à cet égard, mieux dire que Michel Houellebecq, résumant la situation en ces termes : « Mais la palme du mensonge, tous medias confondus, revient au Canard enchaîné. Jamais, pas une seule fois, je n’ai lu dans Le Canard enchaîné, me concernant, une information exacte. Et le plus souvent il ne s’agissait même pas d’exagérations, ni d’interprétations tendancieuses, mais d’affabulations pures et simples, de mensonges au sens le plus précis et le plus étroit du terme. C’est stupéfiant si l’on considère que les gens qui lisent le Canard enchaîné pensent y trouver des informations secrètes, dissimulées au plus grand nombre, exhumées au prix d’un patient travail d’enquête. »[1]

 

Toute personne un tant soit peu informée sur les sujets qu’évoque Le Canard enchaîné ne peut que partager le constat de l’auteur des Particules élémentaires : l’essentiel de ce qui y est affirmé sous le sceau du scoop et de la révélation est faux, mensonger ; comble du vice, présentées comme des bruits de couloir, ces « informations » présentent le caractère avantageux d’être absolument infalsifiables et donc non réfutables dans un tribunal… C’est pourquoi JusMurmurandi salue l’enquête jouissive et libératoire qui paraît chez Stock, Le vrai Canard, où se trouvent disséquées pratiques journalistiques douteuses, influences politiques louches (n’est-ce pas M. Emmanuelli) et autres manipulations d’information partisanes. Bref, si le Canard enchaîné avait été Pinocchio, pour filer une métaphore récemment popularisée par le plus illustre des Béarnais de son temps, son bec eût été tel qu’aucun kiosque n’eût été assez vaste pour l’accueillir…


[1] Michel Houellebecq, Bernard-Henri Lévy, Ennemis publics, Flammarion / Grasset, 2008, pp. 227-228

 

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