L’Année du Milliard

janvier 1, 2009 on 10:21 | In Coup de gueule, Economie, France, Incongruités, Insolite, International | Commentaires fermés

Le magazine Time a l’habitude de choisir la « personne de l’année » pour en faire une couverture très suivie dans le monde entier. Et, en fonction des circonstances, de choisir de nommer non une personne, mais un évènement. Dans cette veine, JusMurmurandi a constaté que, plus que tout, 2008 resterait comme l’année du Milliard.

Rappelez-vous, il n’y pas si longtemps le Crédit Lyonnais lancé dans une folle aventure s’est réveillé avec une gueule de bois qui a coûté au contribuable français la bagatelle de 30 milliards de francs. Le scandale a été épouvantable, et l’opprobre qui a couvert cet établissement et la méthode très française de privatisation des profits et de nationalisation des pertes a durablement ébranlé le capitalisme étatique bien de chez nous.

Or 30 milliards de francs, c’est moins de 5 milliards d’euros. C’est-à-dire moins que ce que le seul Jérôme Kerviel a coûté à la Société Générale. Ce second « trou » fait lui aussi scandale, lui aussi planétaire, éclipsant au tableau de déshonneur tous les autres traders perdus, de Nick Leeson et la Barings, ou ceux de Mitsubishi ou de Metallgesellschaft.

Mais au moment où les esprits stupéfaits commencent à peine à s’habituer à l’idée d’une telle somme, et plus encore perdue par une seul homme, lui aussi perdu dans un système en perdition, les chiffres ne cessent de défiler tous plus grands que la semaine précédente. Et les épithètes manquent pour accompagner et rendre compte de ce défilé de sommes toujours plus énormes.

Alors que dire quand Madoff inscrit son nom en lettres de feu tout en haut du tableau des pertes individuelles, avec un astronomique 50 milliards, soit un décakerviel?

En septembre, Lehman Brothers fait faillite laissant derrière elle une ardoise de 146 milliards, sans compter les engagements par signature. Des sommes qui n’ont plus de sens, tant le montant n’a plus de rapport avec le tangible. Mais ce n’est, on n’ose à peine l’écrire, qu’un amuse-gueule. La tornade déclenchée par cette faillite manque emporter le système financier planétaire, et la situation n’est quelque peu stabilisée que grâce à un plan concocté par l’américain Henri Paulson. Plan annoncé à 250 milliards de dollars, puis 350, puis estimé à 500 milliards, pour sortir finalement au moment de son annonce officielle, à 700 milliards dollars. Somme bien entendu, comme toute les précédentes, sans précédent.

Quand on pense que la seule AIG, certes il y encore quelques mois premier assureur de la planète, a déjà « consommé » quelques 135 milliards de dollars d’aide de l’Etat américain pour éviter la faillite, et, avec elle, emporter tout le système, on commence à se dire que, finalement, par rapport à 135 milliards (et ce n’est pas la fin) pour un assureur, 700 milliards pour toutes banques, ce n’est pas tant que ça.

Le reste du monde n’est pas en reste. 240 milliards pour l’Union européenne, pourtant théoriquement corsetée de fer par les critères de Maastricht. 650 milliards pour la Chine, dont la dépendance aux exportations revient la hanter comme un vent mauvais après la brise d’été qui a culminé aux Jeux Olympiques. 140 Milliards pour soutenir le rouble dans une Russie dont l’arrogance, les réserves en devises, le taux de croissance et les fortunes des oligarques ne résistent pas à l’effondrement des prix des matières premières, à commencer par le pétrole.

Ainsi Roman Abramovitch, emblématique pour avoir dépensé sans compter pour son club de football de Chelsea, aurait-il vu sa fortune tomber de 22 milliards de dollars à 3 milliards. Comment ne pas le plaindre? Mais comment plaindre un milliardaire? A ceci près qu’Oleg Deripaska aurait perdu plus encore. Alors, avec « seulement » quelques milliards, comment les qualifier, ces perdants phénoménaux: de riches, de pauvres ? Tout repère a disparu, emporté par des sommes insensées.

Pendant ce temps-là, tous les plans annoncés semblent déjà trop faibles pour faire vraiment repartir la machine. Le monde attend de l’équipe Obama, au manettes dans trois semaines, un plan de relance de quelques 500 milliards de dollars. La France elle aussi attend une deuxième tranche du plan Sarkozy avant même que la première ait produit le moindre effet, car les délais de mise en œuvre sont encore à courir.

Rien ne pourrait mieux montrer cette escalade himalayenne que de constater que les pertes de BNP-Paribas en 2008 dues à la crise, soit quelques 4,2 milliards d’euros en fin d’année 2008 ne l’empêchent pas d’être considérée comme une des banques les mieux gérées au monde, alors qu’un montant supérieur mais de peu, perdu par Kerviel, a durablement marqué son concurrent la Société Générale comme un exemple de grand n’importe quoi. Si seulement le trou Kerviel avait éclaté (si l’on peut dire) quelques mois plus tard, eût-il vraiment marqué les esprits, et la Société Générale a-t-elle manqué de prudence, ou simplement joué de malchance dans le timing?

JusMurmurandi pourrait continuer à empiler sans fin ces sommes elles aussi sans fin ni sens. Mais nous sommes le 1e janvier, et donner mal à la tête un 1e janvier n’est vraiment pas une façon sympathique commencer l’année.

Alors, après avoir constaté que 2008 restera dans les annales comme l’année où le milliard, au lieu de vouloir dire « énormément, jamais vu » est devenu une unité de compte banale, voici un chiffre qui, lui ne bougera plus, et dont il faut espérer qu’il ne sera pas dépassé avant longtemps. En 2008, Wall Street a vu la capitalisation boursière des sociétés qui y sont cotées fondre de 7 trillions de dollars.

Trillions, le mot est lancé, impensable, incompréhensible. Visiblement le milliard ne suffit plus et le mot n’a pas passé le 31 décembre. 2008 restera définitivement comme l’Année du Milliard, et nous sommes bien en 2009.

Bonne année !!

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