La faute à qui?

janvier 24, 2009 on 9:16 | In Best of, Coup de gueule, Economie, France, Incongruités, International | Commentaires fermés

« Il est tombé par terre, c’est la faute à Voltaire; le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau » Ces mots mis dans la bouche de Gavroche par Victor Hugo sonnent juste: notre système financier est par terre, et nous sommes le nez dans le ruisseau. La question qui émerge avec force est: c’est la faute à qui? Et derrière cette formulation se cachent en fait plusieurs questions: qui sont les gagnants, s’il y en a? Qui a fauté? Qui s’est trompé? A partie de quel moment est-on non plus simplement une victime (de la crise, d’un licenciement, de pertes immobilières ou en bourse, d’un refus de crédit), mais une Victime (de Madoff, de Lehman, d’emprunts « toxiques »)?

Alors, bien sûr, la première réponse, sur laquelle tout le monde est d’accord est de déclarer que « c’est la faute aux banquiers ». Parce que c’est là que les symptômes de la crise sont les plus visibles: pertes abyssales, effondrement du crédit interbancaire et vers les clients, besoins gigantesques d’argent public. Ce qui, couplé à des rémunérations pharaoniques, a tout pour créer un cocktail plus toxique que n’importe quel emprunt.

D’où des clameurs pour clouer au pilori les banquiers, leurs rémunérations, et le pouvoir qu’ils détenaient de « planter » ainsi le système financier mondial et de nous plonger dans une crise économique dont JusMurmurandi n’a eu de cesse d’écrire (et jusqu’ici amplement à raison, malheureusement) qu’elle serait pire que tout ce que nous avons connu au moins depuis les années 30. Plus de bonus pour les banquiers! Plus de dividendes pour leurs actionnaires! Nationalisons les! Régulons et encadrons-les! Faisons-les contrôler en permanence par leurs propres administrateurs. Renforçons les audits. Et surtout, blâmons-les pour tout!

Deuxième coupable évident: le système! Sans aller jusqu’à remettre en cause le capitalisme, faute d’avoir quoi que ce soit à proposer comme alternative, hormis, Besancenot et les ultras du genre du groupe de Julien Coupat, c’est la faute au système! Focalisation excessive sur le profit, et en particulier sur le profit à court terme, priorité aux services, et notamment aux services financiers, désintérêt envers l’industrie. A se demander comment nous avons pu exister avec un système perclus de tant de maux si graves.

Troisième catégorie de coupables indéfendables: les experts, agences de notation ou économistes de tout poil. Ils n’ont rien vu venir, rien annoncé, rien mis en place pour éviter ou amoindrir les conséquences de la crise, et ils sont muets pour nous en sortir.

Regardons cela de plus près:

D’abord, les hommes. Certains ont échoué, d’autres ont failli, d’autres encore ont fauté. Mais jeter la pierre aux hommes, c’est ignorer que, pour beaucoup, ce sont les plus brillants de leur génération. On peut être ahuri devant le désastre des constructeurs américains de voitures, aveugles au point de tout risquer sur les profits tirés des seuls gros véhicules sans voir qu’un jour un retour de balancier les précipiterait (et beaucoup d’entre nous avec) dans l’abîme. Mais combien de brillants jeunes diplômés ont choisi, ces 30 dernières années d’aller travailler chez General Motors plutôt que chez Goldman Sachs? Et si la crise actuelle est bien due à des excès financiers, la finance mondiale a créé une abondance sans précédent.

Ensuite le système. Jeter le système aux orties en raison de la crise actuelle, c’est oublier que la prospérité mondiale a cru de manière continue depuis des décennies, et ce pour le bien du plus grand nombre, y compris depuis 10 ans, de centaines de millions de Chinois et d’Indiens. Cela ressemble à condamner l’industrie pharmaceutique toute entière pour tel ou tel gaspillage, abus, échec ou scandale sans voir que l’espérance de vie de la population mondiale croît de façon régulière, et ce, avant tout, en raison de a disponibilité croissante de médicaments toujours plus efficaces.

Enfin, les experts. Les considérer comme de grands coupables serait leur faire trop d’honneur. Il suffit de voir qu’un trader de pointe gagnait en un jour ce que gagnait un « expert » universitaire en un mois ou un an pour se faire une idée de leur importance relative.

Alors, la faute à qui? Qui sont nos Voltaire, nos Rousseau? Bien sûr, on peut encore faire un dernier effort pour blâmer le désormais ex-Président Bush et ses âmes damnés (on a envie d’écrire « ses ânes damnés ») Cheney, Karl Rove et les néo-conservateurs. Ce qui conduit à accueillir Obama comme le Messie, et à en attendre qu’ils nous sauve tous. Mais comme JusMurmurandi n’a pas vu d’étoile filante ni 3 rois mages, il y a de très fortes chances que ceux qui y croient le plus soient les plus déçus.

La réalité, c’est que nous sommes tous les responsables, et que, s’il y a des coupables, c’est nous. Il est facile de dénigrer la mondialisation et la perte d’emplois qu’elle vaut à notre industrie. Mais qui se précipite pour acheter au moins cher, souvent en provenance de Chine? Si les consommateurs que nous sommes ne privilégiaient pas avant tout le prix dans notre choix, les entreprises ne pressureraient pas avant tout les coûts dans les leurs. D’autres choix sont possibles, comme le lieu de fabrication, l’éthique, le développement durable, l’innovation, la performance, la qualité. Mais non, nous, c’est le prix, donc le coût, donc la Chine.

La même chose est vraie avec le système économico-financier. Il est facile de vouer aux gémonies les fonds de pension qui exigent une rentabilité toujours plus forte, mais le feraient-ils si leurs clients, c’est-à-dire ceux qui leur confient l’argent de leurs futures retraites, ne choisissaient pas les gestionnaires sur le critère de la rentabilité, alors que les mêmes choix alternatifs sont possibles. Et ce système a créé une accumulation de richesses proprement incalculable. Car, pour perdre les sommes que l’on a vu fondre en bourse ou dans l’immobilier, il fallait d’abord qu’elles y soient arrivées.

Le plus intéressant peut-être est de constater que, quand nous sommes en période de prospérité, nous n’avons de cesse de trouver que nous n’allons pas si bien que cela, et que l’argent, somme toute ne fait pas le bonheur. Mais, que survienne une crise, et on constate bien vite à quel point la consommation nous est douce. Et que, si l’argent ne fait pas le bonheur, qu’il nous manque quand nous n’en avons plus tout à fait assez!

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