Presse à vendre ?

janvier 25, 2009 on 7:45 | In Best of, Coup de gueule, Economie, France, Incongruités | Commentaires fermés

Paris résonne encore du fracas qu’a causé l’article du projet de loi donnant au pouvoir exécutif le pouvoir de nommer le Président de France Télévision. Que n’a-t-on pas entendu sur la régression à avant mai 68, sur l’évolution vers un régime autoritaire, entre autres cris déchirants. JusMurmurandi s’y serait associé, car la liberté de l’information nous est chère, si nous avions cru au danger.

Plus étrange, en revanche, est le grand silence médiatique qui entoure la décision sarkozyenne de donner 600 millions d’euros pour la presse écrite. Car là, il y a un vrai sujet. Sujet comme sujet d’article. Sujet comme sujétion, ou assujettir. Car qui peut imaginer que 600 millions de subventions ne donne ni droit de regard, ni influence?

Le problème, c’est que personne ne veut payer pour des quotidiens généralistes structurellement déficitaires. Leurs ventes sont modestes, comme les recettes qu’ils en tirent tant en prix de vente qu’en publicité. Ceci les condamne à un cercle vicieux de panne de moyens et de lectorat limité, tandis que leur financement, et le contrôle qui va avec, tourne souvent au feuilleton, comme au Monde ou à Libération.

Ce qui veut dire explicitement qu’il n’y pas assez de clients acceptant de payer assez cher, et partant, pas assez d’annonceurs, pour faire vivre ces entreprises.

S’ajoute à cela une profession journalistique intransigeante sur ses avantages aussi bien que sur le droit d’un propriétaire de financer à fonds perdus sans avoir le droit de rien dire ou faire.

Se surajoute la présence très onéreuse de la CGT du Livre, syndicat disposant (on croit rêver!) du monopole d’embauche, et d’une distribution archaïque effectuée par un autre monopole, les NMPP, elle aussi gangrenée par des pratiques sociales verrouillées par la CGT.

Dernière couche de misère pour les quotidiens déjà mal partis: la distribution de concurrents gratuits, faciles et rapides à lire, qui drainent un lectorat de gens allant au travail en transports en commun.

Sans compter, bien sûr, la concurrence des autres media, radio, télévision, et maintenant la lecture souvent gratuite de la presse sur Internet.

Bref, un spectacle de désolation économique sur fond de menace pour la pluralité de l’information. Un spectacle qui n’a pas de fatalité, car, si certaines industries sont frappées structurellement et donc internationalement, les causes de ce mal là sont bien françaises. Il n’y a qu’à regarder la diversité et les tirages de la presse britannique pour s’en convaincre

C’est là qu’arrive, les bras chargés de fonds, Sarkozy tel le roi mage portant des cadeaux. Sauf que là ce n’est pas à un bébé né dans la pauvreté quoique porteur de l’avenir du monde, mais à un métier anciennement riche et tombé dans la misère de la vieillesse.

Cadeaux qui ne sont pas négligeables, puisque 600 millions d’euros par an, cela fait 4 milliards de francs, ce qui fait qu’en 7 ans, on atteint le montant des pertes abyssales du crédit Lyonnais. On n’en est donc pas au naufrage du Titanic, mais c’est plus que le naufrage d’un concurrent du Vendée Globe…

Et là, contrairement à la nomination du président de France Télévisions, pas un mot contre la manne présidentielle, qui, pourtant, devrait faire débat en termes de liberté et de pluralité de la presse. Pas un commentaire pour demander de quel droit l’argent des contribuables doit servir à financer un produit dont les clients ne veulent plus assez pour le payer à son juste coût. Pas un commentaire pour demander qu’en contrepartie du nouvel avantage, les parties prenantes renoncent aux leurs (convention collective des journalistes, NMPP, CGT du Livre), alors qu’il y a eu un tonnerre pour exiger que les banquiers abandonnent leurs bonus et les actionnaires leurs dividendes.

Non, rien. Le silence. Comme s’il y avait un panneau rouge à l’entrée d’une grande salle à manger, marqué « silence, on mange! ». Un lâche silence pendant qu’on observe ce qui, en fait, revient ni plus moins à la nationalisation de la presse quotidienne. Une situation que n’a pas encore osé (on n’ose dire « réussi ») mettre en pratique la Russie de Medvedev et Poutine.

Liberté de la presse, indépendance des journalistes ne sont plus que des mythes, qu’on pourra enterrer au Panthéon, à coté de celui de la Résistance incarné par Jean Moulin. Sauf que Jean Moulin a souffert la torture et la mort pour ses idéaux.

Alors que la presse quotidienne a simplement vendu les siens au milieu du silence de tous, lâchement heureux d’éviter le désastre même au prix de ce qu’il faut bien appeler une nationalisation massive. Le même silence qu’on a noté quand le fils d’un oligarque russe a racheté France-Soir, exsangue depuis des années, alors que le rachat des Echos, quotidien prospère, par M. Arnault de LVMH qui est quand même beaucoup plus fréquentable à tous points de vue que le riche moscovite, a déclenché grève et levée de boucliers.

Ainsi, Nicolas Sarkozy ne domine pas les consciences comme pouvait le faire De Gaulle. Il ne les inspire pas, comme Pompidou. Il ne leur raconte pas de belles histoires , comme Miterrand. Il ne les anime pas, comme Chirac. Il les achète!

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