Mettre la grève à sa place

janvier 28, 2009 on 2:07 | In France | 4 Comments

La place de Grève appartient à l’Histoire de France, notamment parce que s’y déroulèrent un certains nombre d’exécutions célèbres, y compris l’écartèlement de Ravaillac, l’assassin d’Henry IV. Le reste du temps, c’était la place où se rassemblaient des hommes à la recherche d’un travail, quel qu’il soit.

C’est pourquoi l’emploi de ce mot pour désigner un mouvement de protestation de la part de ceux qui en ont un est un contre-sens historique.

Certains de ces mouvements sont aussi un contre-sens non seulement historique ou économique, mais un véritable appel au suicide.

Ainsi, Alitalia, maintenue sous respiration artificielle par Silvio Berlusconi, fusionnée avec son plus petit concurrent à bas coûts Air One, recapitalisée par des hommes d’affaires italiens et adossée à Air France KLM a-t-elle peut-être une chance d’échapper à la disparition totale. Quelle est la première préoccupation des syndicats? De la mettre en grève quelques jours à peine après son redécollage. Précipitant au passage ses passagers excédés dans les bras de Lufthansa, EasyJet et autres, qui s’offrent à bon compte des pans entiers du marché aérien italien.

Ainsi les cheminots de la SNCF qui se mettent en grève de protestation dès que l’un des leurs se fait agresser. Pour lamentables qu’elles soient, ces agressions ne sont pas l’apanage exclusif de cette profession. Des professeurs le sont aussi, sans parler des policiers, des convoyeurs de fonds ou des petits commerçants. D’autres professions ont une mortalité beaucoup plus élevée, tels les routiers. Quel rapport entre l’agression et la grève, sinon que c’est le prétexte à de solides revendications catégorielles d’une profession en position (temporaire) de monopole?

A la Guadeloupe, une grève générale tente de s’opposer à « la vie chère ». C’est intéressant sur plusieurs plans. Parce que, bien sûr, les guadeloupéens en grève « oublient » quand cela les arrange de se comparer aux îles voisines, qui n’ont ni SMIC, ni systèmes sociaux, ni subventions de la métropole. Mais, alors que les employés des monopoles (la Poste, la SNCF, EDF, GDF) ne veulent à aucun prix d’une concurrence qui risquerait d’entamer leur rente de situation, à la Guadeloupe, c’est la même chose, mais à l’envers. Les stations service Total (50% du parc de la Guadeloupe) sont en grève pour empêcher l’ouverture d’autres stations service sur l’île, c’est-à-dire pour éviter d’augmenter la concurrence. Et les guadeloupéens sont en grève contre la grève des stations service…

Et tous les mécontents vont pouvoir exprimer leur catalogue de revendications le jeudi 29 janvier, date d’une grève « générale ». Pendant ce temps-là, rien que depuis le début de la semaine, on en est à 100.000 pertes d’emploi annoncées par de grandes entreprises internationales.

En fait, il y a deux façons de regarder ces grèves. Soit en les trouvant en complet décalage, presque obscènes, face à une conjoncture qui prive de travail ceux qui veulent pourtant bosser. Notamment quand des agents d’un service prétendument public, qui ont une sécurité d’emploi, osent manifester leur avidité alors que la crise réévalue la valeur de cet avantage.

Mais on peut aussi comprendre que, quand les Etats du monde entier trouvent des ressources auparavant inexistantes pour sauver les banques, les compagnies d’assurance, les fabricants automobiles, les producteurs d’avions, tous se disent « au fond, pourquoi pas moi aussi, moi d’abord? » Ce en quoi, le gouvernement a peut-être manqué de pédagogie au moment où les aides étaient concédées. C’est ce que montre le sondage qui indique que la grève du 29 est comprise par une majorité de la population.

La conclusion est simple. Comme depuis des années, cet épisode illustre à quel point la culture économique des Français est limitée, pour ne pas dire absente. Certes, on pourrait penser que, au moins un certaine élite, elle, sait analyser la situation et en mesurer toute la gravité. Mais quand on entend Ségolène Royal déclarer « qu’elle a marre de la crise », comme si c’était quelque chose d’évitable, ou Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière, réclamer une prime transport comme si le pétriole était resté colé à 147 dollars le baril au lieu de s’effondrer vers les 40 dollars, ou parler d’entreprises qui « profitent de la crise », on se dit que les Français, finalement, ne sont pas plus ignares que certains de leurs leaders.

Ce n’est donc pas demain qu’on fera grève pour demander du travail.

4 commentaires

  1. « la culture économique des Français est limitée, pour ne pas dire absente » :
    J’ai vu des syndicalistes d’entreprises publiques qui n’ont aucune idée du montant du budget de dépenses de l’Etat.
    Malheureusement, il ne faut rien attendre des enseignants pour le moment. Déjà que la maîtresse (d’école…) de mon fils refuse apparemment l’éducation civique…
    « Lisez les journaux et arrêtez de regarder des conneries à la télé » aurait récemment dit Vincent Lindon; je ne sais pas ce qu’il dit par ailleurs, mais pour ça il a raison.

    Commentaire by Paulot — 28 janvier 2009 #

  2. Vous avez raison, cher Paulot, c’est à l’école que devrait commencer une sensibilisation à la chose économique. Et, vu la sociologie de nos professeurs, et la mammouthitude de l’Education nationale, ça n’en prend pas le chemin.
    Il arrive néanmoins que les faits se chargent d’administrer les leçons que les professeurs rechignent à dispenser. Sauf que, dans ces cas-là, la leçon prend souvent l’allure d’une correction…

    Commentaire by JM2 — 28 janvier 2009 #

  3. En économie, je lis le blog d’econoclaste, ecopublix, bouba olga, le blog de Gizmo, celui d’etienne Wasmer et je crois qu’ils ne partagent pas grand chose avec vous …
    Vous êtes plutot Guy Sorman, non ?

    Commentaire by Blop — 29 janvier 2009 #

  4. En matière de blog, cher Blop, nous sommes plutôt tendance JusMurmurandi, ce qui nous laisse une liberté éditoriale totale, ce qui ne serait pas le cas si nous suivions un quelconque « gourou ». D’autant que nombre de ces « gourous » autoproclamés se retrouvent bien embarrassés quand la conjoncture n’a pas eu le bon goût de suivre leurs prédictions. Pour le reste, il faut dire que l’écriture d’un blog mis à jour tous les jours avec un contenu qui n’est pas la resucée de lectures d’autre blogs ou articles est suffisamment chronophage pour ne pas laisser beaucoup de temps de lecture.

    Commentaire by JM2 — 30 janvier 2009 #

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