Wall Street et le Bûcher des Vanités
janvier 31, 2009 on 7:12 | In Best of, C'est ça, Paris?, Economie, France, Incongruités, International | Commentaires fermésNous connaissons tous la publicité d’Adidas « impossible is nothing », amusante inversion de l’évident « nothing is impossible ». En Français, cela donne « l’impossible n’est rien ». Malheureusement, cela ne s’applique pas toujours aussi facilement, puisque voici un exemple de quelque chose qui n’est pas impossible, bien que nous l’eussions cru (notez l’usage de l’irréel du passé, car, en vérité, cela paraît en effet irréel), et ce quelque chose n’est certes pas rien.
Ce à quoi pense JusMurmurandi, c’est aux quelques 18 milliards de dollars de bonus que ce sont attribués les banquiers de Wall Street au titre de 2008. Compte tenu que cette année restera dans les livres d’histoire comme la pire depuis 80 ans, il était évident que ce serait zéro. Un zéro pointé, même, pour l’élève WS, qui rendit une copie tellement affreuse que les grandes banques ne durent leur salut qu’à l’absorption par une banque plus robuste ou par le sauvetage par les milliards de dollars des contribuables.
Oui mais voilà, pour certains, ce n’est pas une raison suffisante pour qu’il n’y ait pas de bonus. Il est à noter que 18 milliards sont un montant inférieur de 44% à celui distribué en 2007. C’est certes une baisse significative, mais c’est ce qu’on attendrait d’une année médiocre, pas d’une catastrophe planétaire.
Comment cela est-il possible?
Faut-il imaginer que les banquiers de Wall Street sont à tel point déconnectés du monde extérieur qu’ils ne réalisent pas que les chiffres de leurs résultats différent de ceux d’une console de jeu vidéo en ce que, sur une console de jeu, il suffit d’appuyer sur le bouton « reset » pour avoir une nouvelle « vie » et recommencer à zéro ? Ne réalisent-ils pas la réalité de la misère de ceux à qui des prêts irresponsables ont fait perdre la maison de leurs rêves, ou dont la plongée de la bourse à laminé les économies et l’épargne d’une vie, les ouvriers de l’automobile ou de la sidérurgie licenciés et sans espoir de retrouver un emploi, les migrants chinois renvoyés chez eux où ne les attend qu’un bol de riz, la foi de tous ceux qui croyaient qu’en travaillant dur ils auraient droit pour eux et leurs enfants à un avenir meilleur?
Faut-il se dire que, même si l’année a été catastrophique, les établissements de Wall Street ont peur de perdre leurs meilleurs éléments au profit de la concurrence, et les gardent donc « au chaud » par des bonus même aussi manifestement non mérités?
Faut-il en conclure que l’absence de bonus aurait conduit ces golden boys au désastre financier, y compris la perte de leurs somptueuses résidences dans les Hamptons, leurs villas dans le comté de Westchester, leurs penthouses à Manhattan, et que leur voter des bonus, c’est participer à la relance au lieu d’aggraver la crise de l’immobilier haut de gamme?
Bref, c’est grotesque, indécent, plus obscène qu’un film de cul. Il est intéressant de voir qu’en France, où les excès ont été bien moindres et bien moins catastrophiques, quelques banques exceptées (Dexia, Natixis, Caisses d’Epargne, notamment), il a fallu que le Président tape du poing sur la table pour obtenir qu’il n’y ait pas de bonus, mais enfin il l’a obtenu.
Non, la question que cela pose pour JusMurmurandi est la suivante. La crise actuelle montre à quel point le monde a besoin de ses banques, puisque, clairement, sans banques qui fonctionnent et prêtent de l’argent, plus de monde tel que nous le connaissons, et l’apprécions depuis qu’il est menacé.
Mais avons-nous besoin des banquiers, ces jeunes arrogants, ces Maîtres du Monde, issus des meilleures universités et payés mille fois plus que de simples prix Nobel? Pour ceux qui en voudraient une description saisissante de réalisme et qui n’a pas vieilli en 20 ans, JusMurmurandi recommande la lecture de « Bucher des Vanités » de Tom Wolfe.
Ce bûcher des vanités tire son nom de ce qui s’est passé le jour de Mardi Gras 1497 quand le moine Savonarole fit brûler par les Florentins toutes sortes d’objets d’art, livres, tableaux et autres chefs d’oeuvre de la Renaissance, mais jugés trop splendides, athées, licencieux, obscènes, sataniques par l’intransigeant moins dominicain.
Or Mardi Gras est le jour où l’on festoie avant de se plonger dans l’abstinence du Carême.
Toute ressemblance avec le bûcher où les banquiers de Wall Street sont conviés à brûler leurs bonus pour avoir plongé le monde dans une phase longue et dure d’abstinence n’est pas fortuite.
Et il est à souhaiter qu’il n’y ait pas de moine illuminé et prophétique qui prenne le pouvoir, porté par le désespoir des gens ordinaires.
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