Le tigre devient petit cochon

février 3, 2009 on 5:55 | In Coup de gueule, Economie, Europe, France, Incongruités, Insolite, International | Commentaires fermés

Qui se souvient du « tigre celtique », surnom donné à la petite Irlande pour honorer son fort taux de croissance, souvent plus proche de celui de la grande époque des « tigres d’Asie » que de celui de la vieille Europe? JusMurmurandi se remémore les innombrables articles écrits à la gloire de la façon dont les Irlandais surent profiter de généreux fonds européens, comment il attirèrent de nombreuses entreprises étrangères grâce à des taux d’imposition si bas qu’ils ressemblaient furieusement à du dumping fiscal, combien de jeunes Français doués et ambitieux trouvaient à Dublin ce que la France ne savait plus leur offrir, à savoir un avenir.

C’est pourquoi ce fut un choc pour les partenaires européens de l’Irlande de voir les citoyens de la verte Erin voter « non » à 53% au référendum sur le Traité de Lisbonne, et être le seul pays à faire dérailler la mécanique si vite et si irrésistiblement mise sur les rails par un Nicolas Sarkozy fraîchement élu. Comment ceux qui en avaient tant bénéficié pouvaient-ils aujourd’hui se montrer si ingrats, et mordre ainsi la main qui les avait nourris?

C’est pourquoi c’est avec une « schadenfreude » non dissimulée que JusMurmurandi s’est délecté de la lecture d’un sondage annonçant qu’aujourd’hui se dégagerait une forte majorité de « oui » sur le même texte. Schadenfreude, mot pour désigner la joie que l’on ressent devant les dommages que subit un tiers. Car ce n’est pas la concession faite par les Européens pour servir de feuille de vigne à un nouveau vote, à savoir que l’Irlande conservera un commissaire européen, qui entraîne ce revirement, mais bel et bien la crise. Crise qui frappe d’autant plus durement le pays que son développement est récent, qu’il s’appuie beaucoup sur des entreprises étrangères et donc sur des exportations mises à mal par la chute de la consommation mondiale, et que ce développement a été financé par des banques particulièrement agressives. Laquelle agressivité leur a valu de prendre des claques qui, en pourcentage, dépassent celles des autres pays européens, et rappellent qu’il n’y a qu’une lettre d’écart, et encore sont-elles voisines d’alphabet, entre l’Irlande et cette autre île aujourd’hui éprouvette de laboratoire de la crise mondiale, l’Islande.

Il y eut bien, quand la crise financière menaça de tout emporter, une tentative irlandaise de faire, comme à l’habitude, cavalier seul pour être mieux-disant bancaire, quand le gouvernement irlandais garantit tous les dépôts de ses banques. Cette manœuvre, qui irrita contre elles tous ses partenaires, furieux de voir l’Irlande jouer la concurrence intra-européenne pour tenter de sauver seule sa peau, trouva son épilogue quand ce fut au contraire un type de plan financier unique calqué sur le modèle britannique, qui fut mis en place pour calmer la tempête financière.

Ce fut le dernier rugissement du tigre.

Depuis, les Irlandais se sont rendus compte de la fragilité de leur prospérité. Ils ont aussi observé à quel point la crise est plus aiguë chez eux et chez leur cousin britannique que chez les grandes puissances continentales, la France et l’Allemagne. En particulier, l’effondrement de la livre anglaise, quasiment à parité aujourd’hui avec l’euro, que touchent du doigt ces grands voyageurs que sont les Britanniques dès qu’ils mettent le pied dans le reste de l’Europe. Ils ont vu à quel point le calcul qui leur fit voter « non », à savoir que le blocage du traité leur permettrait d’en rester à un statu quo qui leur valait de grasses subventions sans cela promises à migrer vers l’Est européen plus pauvre, leur avait coûté en bonne volonté et en soutien de leurs partenaires. Ils ont constaté une solidité totalement inattendue de l’Euro face à une tempête qui eût du balayer une monnaie jeune et dont beaucoup de Cassandres prédisaient qu’elle imploserait au premier coup de tabac.

Que fait-on quand on se sent seul, et trop petit pour faire face à la tempête? On se réfugie chez plus fort que soi. C’est la stratégie des 3 petits cochons face à l’attaque du grand méchant loup, bientôt regroupés dans la seule maison construite en « dur » et capable de résister à l’ennemi.

Passer du statut de tigre à celui de petit cochon, voilà qui ramène sans ménagement l’Irlande à plus de modestie. Dommage qu’il ait fallu une si grave crise pour lui faire toucher du doigt le prix d’une politique de cavalier seul.

Et une leçon pour les Européens aussi. Qu’ils n’oublient pas qu’au plus fort de la tempête, quand il fallait vaincre le tsunami bancaire ou mourir, ce ne sont pas les traités européens qu’on a vu à l’œuvre, pas plus que les autres accords ou institutions internationaux, mais les leaders des grands pays: Gordon Brown, Nicolas Sarkozy, Angela Merkel

En attendant, l’Irlande a retrouvé sa place au sein de l’Europe, celle qui lui a valu son intégration réussie. Pas celle du tigre qui mangeait leur déjeuner sous les yeux de ses voisins ébahis par tant d’audace impunie, mais celle du petit cochon: à la mangeoire.

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