La Russie, terre de l’échec ou des échecs?

février 19, 2009 on 7:00 | In Coup de gueule, Incongruités, International | Commentaires fermés

Les échecs, c’est bien connu, sont une spécialité russe. Mais ce n’est qu’en langue française que les échecs, c’est-à-dire le jeu, sont le pluriel de l’échec, qui veut dire le ratage.

Or c’est bien une série d’échecs que récolte le pouvoir russe, sans doute pour avoir voulu trop jouer. Les faits sont bien connus: le meurtre en plein Moscou de la journaliste Anna Politkovskaïa. Ce crime en plein jour fait tache, d’autant qu’il n’est pas le seul, le banquier central Andréï Kozlov ayant été lui aussi massacré dans la capitale russe. Ainsi que de nombreux autres, moins connus en Occident, comme Zelimkhan Magomedov ou Alexandre Plokhine.

Mais le cas d’Anna Politkovskaïa ternit la réputation de la Russie et de l’équipe au pouvoir, qui est immédiatement soupçonnée d’avoir commandité l’élimination d’une journaliste d’opposition. Laquelle équipe annonce bientôt que les assassins sont connus. Et aujourd’hui s’achève le procès de 4 d’entre eux, en tout cas en ce qui concerne l’accusation.

Il faut dire que ce procès ne satisfaisait pas grand-monde. Les autorités n’avaient pas réussi à réunir de preuves contre les accusés. Des documents avaient mystérieusement été perdus. Les tests ADN sur l’arme du crime n’avaient rien donné. Le FSB, successeur du KGB avait refusé de livrer le contenu des dernières conversations téléphoniques d’Anna Politkovskaïa avant sa mort. Et surtout, il n’y avait ni mobile évident pour les 4 hommes, ni la moindre indication de l’identité d’un quelconque commanditaire. Enfin l’assassin présumé était absent, présumé en fuite à l’étranger.

Bref, on s’attendait à un procès fantoche comme Moscou en a déjà donné dans les années 30 et 50, un temps qui semblait révolu. Et on anticipait sur la satisfaction des autorités russes déclarant que tout allait pour le mieux dans la sainte Russie, où les coupables sont immanquablement châtiés pour leurs crimes odieux.

Oui, mais voilà, il y a eu un hic. Le tribunal a acquitté les 4 accusés. Du coup le meurtre est officiellement non résolu, et la farce de l’autosatisfaction medvedevo-poutinienne n’a pu être jouée. Elle était pourtant d’autant plus indiquée qu’il y a peu Stanislav Markelov, avocat impliqué dans des dossiers tchétchènes comme Anna Politkovskaïa, et Anastasia Babourova, stagiaire dans le même journal qu’elle, étaient assassinés en pleine rue à Moscou. Ce qui continue à faire tache. Tache de sang, bien évidemment.

Cet acquittement est donc à première vue un spectaculaire échec pour le Kremlin, dont la stratégie de « il n’y a plus rien à voir » est battue en brèche. Évidemment, cela pourrait permettre aux autorités russes de mettre en avant cette « preuve » de l’indépendance de leur justice alors que tous les Occidentaux considéraient cette affaire comme jugée d’avance, mais cette voie ne ressemble pas un coup d’échecs à la russe.

Non, ce qui serait plutôt dans leur manière est que, comme il n’y a pas eu condamnation, le dossier est toujours ouvert, et pourra donc resservir contre toute personne qui aurait eu le malheur de déplaire. Ainsi les autorités avaient déjà indiqué pendant un temps que les assassins de Politkovskaïa étaient aussi, contre toute vraisemblance, impliqués également dans le meurtre de Kozlov, voire dans celui d’Anatoli Litvinienko, mort d’avoir ingéré à Londres du polonium, matériau hautement radioactif administré, si l’on en croit l’opinion générale, sur ordre du Kremlin.

Pendant ce temps, après des années de détention, le ministère de la justice russe vient-il de lancer de nouvelles et graves accusations contre Michaïl Khodorkovski, l’ex patron milliardaire propriétaire de Youkos, emprisonné en Sibérie pour fraude fiscale après un procès largement considéré comme truqué. Pour quoi est-ce après des années, et juste au moment où il pourrait être libéré, que de nouvelles charges surgissent tel le squelette d’un mammouth du permafrost sibérien?

En tout cas, Jusmurmurandi fait deux prédictions. L’une que ce n’est pas au cours du procès Khodorkovski qu’on risque de voir le tribunal acquitter celui que le Kremlin veut vraiment abattre. Et donc, en corollaire, que l’affaire Politkovskaïa ressortira au moment opportun pour servir contre quelqu’un d’autre. Quelqu’un dont la condamnation vaudrait pour le Kremlin le coût de ces échecs apparents.

Dommage pour le Kremlin qu’on ne puisse pas coller ce meurtre à Khodorkovski. Encore que, et pourquoi pas? Voilà qui règlerait deux problèmes d’un coup.

Comme aux échecs…

Anna Politkovskaïa

No Comments yet

Désolé, les commentaires sont fermés pour le moment.