L’Etat des Banques

mars 11, 2009 on 6:08 | In Coup de gueule, Economie, France, International | Commentaires fermés

Quel Français ne se souvient de 1981? Le 10 mai, François Mitterrand est élu Président de la République. Il gagne les élections législatives qu’il organise dans la foulée, et applique son programme, négocié en commun avec le Parti Communiste Français de George Marchais. Et notamment nationalise les 40 plus grandes banques françaises. les justifications de ce mouvement purement idéologique font référence aux nationalisations de 1945 ou du Front Populaire. Ambiance…

2009. Pas de socialistes à la mode Mitterrand à l’horizon, encore moins de communistes, qui ont disparu de la scène mondiale. Pourtant, après cette semaine, un certain nombre des plus grandes banque mondiales sont, à leur tour, nationalisées, à commencer par la plus grande banque d’entre elles, Citigroup. Avec elle, son seul rival américain, Bank of America. En Grande-Bretagne, autre temple de la libre entre prise et de la finance mondiale, Lloyd’s rejoint dans le giron de l’Etat la Royal Bank of Scotland, soit les deuxième et troisième banques britanniques. Elles rejoignent ainsi le groupe des banques que seul le soutien d’un Etat maintient solvables, comme Dexia, ING, ABN Amro, Fortis, UBS, l’ensemble Caisses d’Epargne-Banques Populaires et autres.

Soit, à vue de nez, 7 des 20 plus grandes banques mondiales. Sans compter la plus grande compagnie d’assurance mondiale, AIG, ou les réassureurs immobiliers Fanny Mae et Freddie Mac.

La nationalisation serait-elle une nouvelle modernité, ou le seul moyen de survie de banques qui ont excédé leurs et limites et les contribuables qui sont ulcérés de devoir payer pour leur folies?

Il est clair que seule l’urgence et non un quelconque plan à conduit à ces opérations le plus souvent conduites le week-end pour ne pas entraîner, avant qu’elles n’aient abouti, de turbulences que le marché n’aurait pu absorber.

C’est si vrai que Lloyd’s Bank était la banque anglaise considérée comme la mieux gérée et la plus rentable, et que c’est à ce titre que les autorités britanniques lui ont demandé de sauver HBoS en déconfiture, la composante Bank of Scotland n’ayant pas su gérer son acquisition du spécialiste immobilier Halifax. Pour sauver HBoS, c’est fait, mais au prix de devoir à son tour sauver son sauveur, Lloyd’s. Le bénéfice de l’opération n’est pas évident. Le même schéma aux Etats-Unis, où le plus gros courtier en bourse du monde, Merrill Lynch, menace ruine. En un week-end, le Trésor américain l’adosse à la rentable Bank of America. Sauvetage réussi, sauf que Bank of America à son tour doit passer dans le giron de l’Oncle Sam, n’ayant pas pu trouver ailleurs les dizaines de milliards nécessaires à conforter son bilan rongé par la crise et les pertes ruineuses de sa nouvelle acquisition.

Pour être honnête, ce ne sont pas uniquement les fusions orchestrées par les autorités monétaires qui se sont révélées catastrophiques. L’acquisition d’ABN Amro après une bataille d’enchères gagnée (si l’on peut dire) par la Royal Bank of Scotland contre Barclay’s l’a été à un tel prix que la crise a fait imploser le bilan de la RBS, la précipitant dans le giron de la Couronne britannique. On ne peut que souhaiter qu’il n’en aille pas de même avec l’acquisition à venir de Fortis par BNP-Paribas.

En sens inverse, Barclay’s Bank, la vénérable institution britannique qui perdit la bataille pour ABN-Amro a de quoi se consoler. Immédiatement après la faillite de Lehman Brothers, faillite qu’on considère aujourd’hui comme une erreur aux conséquences colossalement négatives, Barclay’s a racheté l’essentiel des actifs de Lehman pour une bouchée de pain, ce qui lui a donné le droit de choisir parmi les équipes de la banque d’affaires ceux des collaborateurs qui lui convenaient. Résultat: au 4e trimestre, les bénéfices de Barclay’s sont dus à une plus-value de 20 milliards de dollars sur les actifs de Lehman. Plus-value ahurissante quand on sait qu’elle a été calculée sur des valeurs de marché particulièrement déprimées, et qu’on peut donc imaginer qu’il y en aura d’autres quand le marché, un jour se redressera.

Ce qui indiquerait que la vente des dépouilles de Lehman à Barclay’s a été aussi mal gérée que sa faillite. Et qui nous ramène au début de l’article, en démontrant la difficulté pour une administration gouvernementale de gérer « en bon père de famille », ce qui est la culture des entreprises et des marchés, mais pas du tout de l’Administration. La France a bien connu cette difficulté et ses nombreuses conséquences douloureuses pour le contribuable, comme l’affaire du Crédit Lyonnais, et tout indique que l’avenir nous réservera le même lot de coûteuses déconvenues.

Il y a à cette situation un curieux paradoxe. Les banques, nous dit-on, ont accru leur capacité de prêter grâce à leur capacité à revendre leurs crédits à d’autres après les avoir faits. C’est ce qu’on appelle la titrisation. Les prêts « douteux » des subprimes américains ont ainsi été revendus de par le monde. Et c’est l’assèchement de ce marché de la titrisation qui a empêché les banques de continuer à prêter puisque le mécanisme de revente état en panne.

Maintenant, on nous dit que les Etats, à commencer par l’Etat américain, vont forger une solution pour décharger les bilans bancaires de 3000 milliards de crédits douteux, moyennant quoi tout rentrera dans l’ordre sur le plan -certes critique, mais pas unique- de la capacité du système bancaire à financer l’économie mondiale.

C’est du grand n’importe quoi. La réalité, c’est que la banques ont, par des mécanismes nouveaux et créatifs, comme la titrisation et les CDS, prêté beaucoup plus que ce que leurs fonds propres eussent dû permettre en conservant des ratios prudentiels suffisants. Ratios dont la mise en place remonte à la crise des années 30, intervenue exactement pour cette raison. Nous sommes donc dans un schéma de « bis repetita » sous une forme et avec des moyens modernisés.

A partir de là, il n’est pas sorcier de conclure que:

soit

(1) on accepte que, pour que tout revienne comme un avant jugé a posteriori idyllique, on nettoie les bilans des banques, et elles recommencent à prêter « comme avant », ce qui veut dire qu’il y aura une même incapacité de leur part à faire face à une phase de ralentissement cyclique de l’économie. Bon appétit aux amateurs!

soit

(2) on nettoie le bilan des banques, et on les astreint, à travers une régulation plus restrictive, à ne plus prêter au delà de ce que leurs ratios prudentiels et donc leurs fonds propres permettent pour garder une marge de sécurité et de stabilité suffisantes, et alors il faut bien savoir que, leur capacité à prêter se trouvant fort réduite, il va bien falloir que l’économie mondiale se contracte pour s’adapter. Une gigantesque gueule de bois après la beuverie!

soit

(3) on augmente massivement les fonds propres des banques pour combiner prudence et volume. Mais d’où viendrait l’argent, et comment le rémunérer à la satisfaction des actionnaires? Sans compter qu’une telle ponction, de l’ordre de 1000 milliards de dollars, ne serait pas sans conséquence sur la capacité des États à financer leur gigantesques déficits publics, et provoquerait une hausse des taux d’intêrets, et une autre phase de ralentissement économique. Brrrr!

(4) les banques redeviennent les simples machines à distribuer du crédit qu’elle étaient devenues avant la crise, comme des agences de voyage qui distribuent des voyages. Le risque serait alors porté « ailleurs ». Pour le moment, cet « ailleurs » n’a qu’un seul nom: la signature des États. Mais on sait les États mauvais gestionnaires, et les banques mal inspirées quand ce ne sont pas elles qui payent pour leurs imprudences. Joyeuse perspective!

Au moment de conclure, les nouvelles de la Bourse d’hier. La seule « fuite » d’un memo interne du président de Citigroup, indiquant que la banque a été très rentable en janvier-février, a suffi à ce que les marchés mondiaux montent de 5-6%, montrant à quel point le rêve de tous est de revenir à un « avant ». On peut également méditer sur la désespérance et l’inconséquence d’une hausse de 5% des grandes bourses mondiales sur la base de la fuite d’un seule memo d’une seule banque portant sur deux seuls mois. C’est ce qu’on appelle du levier!

C’est dire si l’on est loin d’avoir trouvé la moindre solution. Dormez bien, braves gens, et, demain, en vous levant, n’oubliez pas de vous préparer à beaucoup consommer pour participer à redresser l’économie mondiale, puisqu’on vous assure -si, si, vraiment!- que tout va bien.

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