Le Pape du Salut et les bonus de Wall Street

mars 18, 2009 on 7:52 | In Economie, France, Incongruités, Insolite, International | 8 Comments

Benoît XVI est en Afrique. Le seul continent où l’Eglise catholique constate une augmentation du nombre de fidèles. Le continent aussi que le SIDA frappe le plus durement. Et que déclare Benoît? Que le préservatif n’est pas la bonne réponse pour se protéger, mais qu’il faut pratiquer l’abstinence. Se rajoutent à cette déclaration la théorie catholique sur l’infaillibilité papale, qui interdit de revenir en arrière, et le nom choisi par l’ex-cardinal Ratzinger. En latin, c’est « Benedictus », soit « Bien-disant ».

C’est dire tout le poids qu’il faut attacher à cette papale parole.

Le problème, c’est que les fidèles semblent plus abonnés à une autre radio qu’à Radio Notre-Dame, qu’ils sont révoltés parce qu’ils perçoivent comme une nouvelle preuve, après la levée d’excommunication des lefébristes, de la radicale déconnexion du Pape d’avec le monde dans lequel eux vivent.

Faut-il donc croire que ce pape ne comprend rien d’autre que la théologie, dont il a longtemps été le gardien aux côtés de son prédécesseur, Jean-Paul II? La réponse est « oui », et c’est même pour cela qu’il a été élu. Un pape n’est pas là pour « admettre », pour « tolérer », pour « faire des compromis ». Sa mission à lui, c’est l’Eglise de Jésus-Christ, et le salut des humains. Pas leur taux de morbidité ou de mortalité qui, pour lui, sera toujours de 100%.

Il y a là un curieux paradoxe. Les Protestants croient en la parole bliblique et rien d’autre. Ils ont donc un support de foi inchangé depuis des millénaires, et donc non « modernisable ». L’Eglise catholique, elle, croît non seulement en la Bible, mais aussi dans les rajouts et compléments de 2000 ans de papauté. Ceci pourrait permettre de moderniser l’Église sans trahir le support de la foi. Ainsi, c’est en 1950 que l’Eglise a encore changé le dogme sur Marie, après près de 2000 ans de réflexion. Et voilà qu’une fois de plus, c’est l’Eglise catholique qui apparaît moins « moderne » que les Eglises protestantes.

L’autre point paradoxal est que la Bible, pour des raisons évidentes, est muette sur le sujet du préservatif. Elle parle masturbation, copulation, débauche, mais contraception, point. La condamnation papale n’est donc pas purement biblique. Elle est en fait indirecte, en ce que le préservatif est le plus souvent la protection du sexe hors mariage, et que, là, on est en plein péché.

Ce que JusMurmurandi suggère benoitement est le point de vue suivant: si un homme a une relation sexuelle non protégée avec une femme avec qui il n’est pas marié, non seulement il commet un péché de chair, et lui en fait commettre un, ce qui en fait un total de deux, mais il se met aussi en danger en même temps qu’il la met en danger. Or le Commandement dit d’aimer son prochain, pas de lui transmettre le SIDA. On peut donc légitimement considérer cette mise en danger consciente comme un péché supplémentaire de chacun des deux participants.

Il y a donc un vrai calcul arithmétique à faire: vaut-il mieux, en s’arc-boutant sur l’abstinence comme moyen d’éviter le SIDA, persuader quelques-uns de ne pas pécher du tout, ou, en reconnaissant l’utilité du préservatif, aider un plus grand nombre à pécher « moins »?

Il y a un parallèle a priori surprenant à faire avec les bonus de Wall Street, et notamment d’AIG, qui offensent tant les Etats-Unis et leur Président. Vaut-il mieux punir les pécheurs, quitte à ce que leur départ de chez AIG affaiblisse encore plus ce qui reste de ce qui fut le premier assureur mondial, et coûte in fine encore plus d’argent aux contribuables? Ou faut-il faire un compromis au nom du réalisme, et limiter les conséquences financières des péchés d’AIG, quitte à passer un pacte avec ceux qui les ont commis?

La différence majeure entre Obama et le Pape, face à ces dilemmes étonnamment voisins, ce n’est pas qu’Obama est noir alors que le Pape se vêt de blanc, ou qu’Obama est laïc et le Pape religieux, ou qu’Obama est protestant et le Pape catholique. C’est que le Pape ne se préoccupe que du Salut, ce qui, par définition, ne se juge que dans l’autre monde. Et que l’espérance de tous les judéo-chrétiens est que celui-ci arrive au plus tôt.

Alors que le défi d’Obama, c’est d’éviter que notre monde tout entier n’y bascule trop vite…

8 commentaires

  1. Moi ce qui m’étonnera toujours, c’est le nombre de personnes qui affirment que la religion protestante serait plus « tolérante » que la religion catholique sans même, du reste, jamais avoir posé les pieds dans une de leur Eglise. Mais je peux vous assurer que même dans les superbes églises où l’on chante du gospel, le sermon qui vient après est… ravageur. De quoi faire passer n’importe quelle messe catho pour une succursale du parti socialiste (ce qu’ils sont la plupart du temps, en France).

    Commentaire by Thomas — 18 mars 2009 #

  2. « Vaut-il mieux punir les pécheurs, quitte à ce que leur départ de chez AIG affaiblisse encore plus ….. »
    Mais pourquoi le départ de ces gens qui ont échoués affaiblirait-il AIG ?
    Peut-être qu’un peu de sang neuf ferait le plus grand bien à cette entreprise non ?

    Quand au Pape, s’il ne se préoccupe que du salut, le mieux serait qu’il s’abstienne de se prononcer sur ce genres de choses qui ne sont que « terrestres » !!

    Commentaire by bilbothobbit — 18 mars 2009 #

  3. Sur le sujet, je me dois de rajouter que l’idée d’un Africain qui s’achète un préservatif avant chaque rapport sexuel, est pour dire franchement absurde et irréaliste.
    A tout bien réfléchir, l’abstinence et la fidélité, pour lutter contre l’épidémie du SIDA, c’est loin d’être aussi ridicule. Décalé peut-être, mais toujours plus efficace dans l’immédiat que l’autre solution.

    Ce bashing anti-catho devient exaspérant.

    Commentaire by Thomas — 18 mars 2009 #

  4. Je partage votre avis, cher Thomas. Certaines églises évangéliques américaines sont animées par des pasteurs d’une grande intransigeance. Mais ce n’est pas le point sur lequel portait l’article, qui ne parlait pas de quelconque tolérance des protestants. Quant au bashing anti-catho que vous percevez, ce n’est pas non plus notre intention, sauf à considérer que l’ensemble de la catholicité se résume à Benoît XVI. Et c’est là, justement, que se pose le problème. L’ensemble du monde catholique ne se reconnait pas dans un certain nombre de déclarations et d’actions du pape. Comme le monde économique ne se reconnaît pas dans les avantages massifs auto-concédés par les dirigeants de certaines entreprises par ailleurs sous perfusion.
    De même que JusMurmurandi n’invente pas le trouble du peuple catholique, il n’invente pas non plus les déclarations du MEDEF contre l’abus des parachutes dorés dans les entreprises en difficulté. Nous ne sommes que le messager, et tirer sur celui-ci n’a jamais fait disparaître le message.
    Lequel message dans le cas du SIDA n’est pas simple. Je suis d’accord avec vous qu’il n’est pas réaliste d’espérer que chaque Africains utilise un préservatif neuf pour chaque rapport. D’accord aussi que l’abstinence et la fidélité ont un rôle à jouer, et que l’Église catholique est légitime en le rappelant. Mais dire que l’usage du préservatif « aggrave » le problème du SIDA? A tout le moins la formulation prête à équivoque si ce n’est contre-sens.
    Bilbohobbit, il y a deux catégories de bénéficiaires des bonus d’AIG. Grosso modo, des cadres dirigeants et des spécialistes (traders, banquiers d’affaires entre autres). Risquer de perdre une équipe dirigeante, c’est risquer de devoir en recruter une autre, avec la période de flottement et d’incertitude qui en résulte. Et quel dirigeant de talent voudrait rejoindre les ranges d’AIG, déjà ruiné, et qui sera démantelé. Toutes proportions gardée, c’est comme faire tomber Saddam Hussein, monstre avéré, mais sans avoir de solution de remplacement bien meilleure. Quant aux traders et autres banquiers d’affaires, on considère qu’ils emporteraient avec eux une bonne partie de leur fonds de commerce et de la mémoire de l’entreprise. D’où le désir de les conserver. Mais je suis d’accord avec vous que, trop souvent, la profession financière est devenue un jeu « d’insiders », où les éléments extérieurs ne sont pas admis (voir Kerviel et les extrémités auxquelles il s’est livré pour être, enfin, reconnu par ses pairs), et où le talent supposé tient lieu de sauf-conduit même quand on a fauté. De toutes façon, quand on faure ce « n’est qu’avec » l’argent des autres, car les bonus sont acquis une fois pour toutes, comme les droits du même nom.

    Commentaire by JM2 — 18 mars 2009 #

  5. « Mais dire que l’usage du préservatif “aggrave” le problème du SIDA? A tout le moins la formulation prête à équivoque si ce n’est contre-sens. »

    Pas dans la logique du pape, que vous rappelez ci-dessus : mettre un préservatif, c’est tromper.
    Par ailleurs, il serait bien de donner la phrase exacte et ce qui en suit. Ainsi il répond :

     » Si on n’y met pas l’âme, si on n’aide pas les Africains, on ne peut pas résoudre ce fléau par la distribution de préservatifs : au contraire, le risque est d’augmenter le problème. La solution ne peut se trouver que dans un double engagement : le premier, une humanisation de la sexualité, c’est-à-dire un renouveau spirituel et humain qui apporte avec soi une nouvelle manière de se comporter l’un avec l’autre, et le deuxième, une véritable amitié également et surtout pour les personnes qui souffrent, la disponibilité, même au prix de sacrifices, de renoncements personnels, à être proches de ceux qui souffrent.  »

    http://www.zenit.org/article-20486?l=french

    Commentaire by Thomas — 19 mars 2009 #

  6. Sur le préservatif encore, n’est-il pas concevable d’imaginer qu’on se croit plus protéger en le portant et donc plus sujet à des comportements à risque et l’exposition au virus ? Or le préservatif ne protège qu’à 85% contre le SIDA.

    Encore une fois, en quoi est-ce faux de dire que cela peut aggraver le problème ?

    Commentaire by Thomas — 19 mars 2009 #

  7. Vous avez raison de citer in extenso, cher Thomas. A ceci près que l’opinion publique est « informée » par des formules raccourcies qui peuvent le cas échéant déformer plus qu’informer, mais qui n’en sont pas moins réelles et influentes. La citation que j’ai faite est bel et bien celle qui a été répercutée dans d’innombrables articles.
    Vous me donnerez d’ailleurs acte que dire que cette déclaration papale a suscité un grand trouble dans le monde catholique n’est pas une attaque de notre part, mais que le trouble est bien réel. Il suffit de lire les réactions autrement plus critiques que la nôtre de la part de catholiques pratiquants comme Roselynne Bachelot-Narquin ou Alain Juppé pour s’en convaincre.
    Sur le fond, la déclaration elle-même soulève une question, mais une question essentielle: en attendant la « solution » chrétienne au SIDA, à savoir l’absence de toute promiscuité sexuelle, est-il judicieux ou non de prescrire ou de dénigrer le préservatif comme un palliatif aux risques d’une sexualité « immorale » au sens chrétien du terme? Je comprends que le pape, longtemps préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, prône et prêche l’absolue solution chrétienne sur le plan de la sexualité. J’avais, pour ma part, « ouvert la porte » à une solution qui permettait de préserver à la fois les vies des pécheurs et les valeurs chrétiennes, en suggérant que copuler sans préservatif était contraire au Commandement « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Car prendre un tel risque pour soi et le faire prendre à l’autre est contraire à l’amour. Il me semble d’ailleurs très possible pour un pape d’évoquer la distinction, pour ne pas dire l’opposition entre relation d’amour et relation de sexe.
    Je crois aussi que l’éruption actuelle « contre » Benoît XVI est aussi le produit non seulement de cette déclaration, mais d’une accumulation, y compris la désexcommunication des lefébristes, et l’excommunication (levée aujourd’hui) de la jeune violée brésilienne. Pour vous prouver que nous ne sommes pas anti-catholiques, je me suis trouvé très seul à dire que le pape avait eu raison de lever l’excommunication y compris du lamentable Williamson. L’Eglise catholique n’excommunie pas les assassins, les violeurs et les pédophiles, elle ne doit pas refuser à Williamson le bénéfice de la Communion. Si l’Eglise excommuniait tous les pécheurs, alors oui, elle serait véritablement vide tant de sens que de paroissiens. Christ lui-même a dit « comme le médecin qui vient pour les malades et non pour les bien-portants, je suis venu non pour les justes mais pour les pécheurs ». Et vous trouverez chez Paul comme chez Luther des textes qui vont encore plus loin, disant que qui commet un grand péché bénéficie d’un grand pardon.
    Mais, a contrario peut-on considérer que celui qui prêche sans recommander aux fidèles tous les moyens de se protéger (je dis bien tous, et même ceux qui sont sûrs « seulement » à 85%), celui-là mérite-t-il le qualificatif de « bon berger »? Ou de « bon samaritain » si vous préférez. On est, à mon humble avis, à la limite de la non-assistance à personnes en danger.

    Commentaire by JM2 — 19 mars 2009 #

  8. Deux bons articles de bloggueurs :

    http://www.koztoujours.fr/?p=3568

    (nb: intéressant l’exemple de l’Angola)

    http://maitre-eolas.fr/2009/03/18/1347-la-bonne-parole-est-a-la-defense

    Commentaire by Thomas — 19 mars 2009 #

Désolé, les commentaires sont fermés pour le moment.