La France malade de Louis XIV

mars 22, 2009 on 4:37 | In Best of, Coup de gueule, France, La Cour des Mécomptes | 2 Comments

Louis XIV est sans doute le Français à qui l’enseignement de l’Histoire de France accorde le plus de place. D’abord, sans doute, parce que la longueur de son règle lui a donné une vie bien remplie. Ensuite par la splendeur de sa face lumineuse, un rayonnement mondial, Versailles, une génération sans égale de génies artistiques. Et aussi la face sombre, les guerres, la révocation de l’Edit de Nantes.

Mais si Louis XIV est connu, c’est aussi pour avoir prononcé une phrase lapidaire: « l’Etat, c’est moi! ». Vous direz, quel rapport avec la crise qui frappe aujourd’hui?

JusMurmurandi s’interroge sur la fait que, dans cette conjoncture qui frappe grosso modo tous les pays développés de manière semblable, même s’il y a des différences d’intensité, la France est le seul d’entre eux où la crise ait déclenché des revendications sociales massives. Le plus étonnant est que, alors même que beaucoup de Français ne souffrent pas concrètement, tous demandent, protestent, exigent. Et sans nul doute se convainquent qu’ils sont des victimes.

Une cause saute aux yeux, à savoir que l’État, présumé jusque là impécunieux terminal, a trouvé des sommes considérables pour permettre aux banques françaises de ne pas sombrer, ce qui eût entraîné tout le pays avec elles. Dès lors le « mythe » de la « misère » de l’État a volé en éclats, et tous de se précipiter vers la mangeoire qui avait révélé un compartiment secret plein de nourriture en criant « et moi! et moi! et moi! ». Vous noterez au passage, que ce n’est même pas « et moi? et moi? et moi? » formulé comme une demande, mais avec un point d’exclamation qui indique l’exigence et l’ordre de faire.

Pourquoi n’en est-il pas de même dans les autres pays? La Grande-Bretagne, pourtant plus touchée que la France, a baissé sa T.V.A., mais pas à la suite de revendications, mais dans un désir gouvernemental de relancer au plus vite une machine économique en panne. Aux États-unis, les propriétaires menacés d’expulsion demandent bien à l’Etat de les dégager de leurs dettes inremboursables, mais de demande sociale générale, point. En Allemagne ou au Japon, rien.

En France même, on voit bien, que ce soit dans les propositions du PS ou dans les revendications des DOM TOM qu’il n’y a aucun rapport entre souffrir et exiger. Les fonctionnaires, qui sont statutairement totalement à l’abri de toute conséquence de la crise, ont encore une fois fourni les gros bataillons des grévistes de cette semaine. Le « coup de fouet » de Martine Aubry, c’est 500€ pour tous tout de suite, comme la hausse de 200€ des bas salaires dans les Antilles. On en est même à ce stade grotesque et choquant qu’un néo-chômeur, vraie victime de la crise, ne toucherait pas la prime Aubry, contrairement à un ouvrier ou employé qui ne serait pas touché.

Alors pourquoi?

Il semble que ce soit un héritage de la phrase de Louis XIV. En disant « L’État, c’est moi! », le roi-soleil signifiait clairement que l’État, c’était lui et lui seul, et donc personne d’autre. Ce que confirmait la pratique royale de lever des impôts dont les seuls partisans étaient ceux qui ne les payaient pas, l’aristocratie et le clergé, et ce contre l’immense majorité qui payaient ces impôts dont ils ne voulaient pas. Donc tous les Français peuvent avoir le sentiment que l’État, ce n’est pas eux. Donc qu’obtenir de l’argent de l’État, c’est tout bénéfice, puisque ce n’est pas eux qui paieront. Il y aurait donc une entité « État » indépendante des Français, puisque chacun est persuadé que c’est les autres. Ce qui pourrait se voir confirmé par le sentiment général que frauder le fisc, la Sécu ou les Assedic, ce n’est pas vraiment frauder, puisque ce « n’est que » l’argent de l’État. État d’esprit qui, soit dit en passant, est aussi celui des pirates de l’Internet, qui téléchargent sans payer de droits. Ils ne se conçoivent pas comme des voleurs, mais simplement comme des astucieux qui ne voient pas pourquoi payer quand on peut ne pas le faire « et que tout le monde le fait.

Il est d’ailleurs symptomatique -et quelque peu effrayant- de se dire que cette déconnexion entre les Français et l’État rappelle le sentiment des Français, à mesure que la dynastie des Louis avançait vers le fatal chiffre XVI, que le Roi, c’était de moins en moins « eux ». Louis XV jeune était le « bien-aimé ». Louis XV vieux n’était que l’amant de la vulgaire roturière rebaptisée Mme du Barry. Et Louis XVI eût été heureux avec une vie d’horloger. Les Français sont arrivés à la conclusion que payer pour cette caste-là n’était plus de mise.

C’est pourquoi JusMurmurandi a une interprétation complètement différente de celle qu’on lit couramment dans la presse de l’état d’esprit de la population. Fabius annonce avec des prudences de chattemite que les Français sont au bord de l’insurrection. Mais ce ne serait pas plus une insurrection de gauche que la Révolution n’a été de gauche. Ceux qui ont eu le pouvoir à la fin du cycle révolutionnaire, c’était la bourgeoisie, qui, jusque là n’avait pas eu son mot à dire quand bien même elle payait pour tout le pays. La situation n’est pas très différente aujourd’hui, où la classe moyenne paye pour tout. Pour les classes moins moyennes, qui ne payent pas d’impôt sur le revenu (50% de ménages ne le payent pas!), vivent dans des HLM largement subventionnés (pourquoi?) et touchent toutes sortes d’allocations et aides. Pour les classes supérieures qui soit ont un moyen de ne pas payer trop d’impôts grâce à d’innombrables niches fiscales, soit s’en vont purement et simplement (ici, l’émigration, c’est avant la Révolution, pas après comme en 1789).

Pour éviter cette nouvelle explosion d’une classe moyenne conservatrice,mieux vaudrait peut-être, après avoir enterré Marx et la révolution prolétarienne, commener par enterrer Louis XIV, et comprendre qu’en France aussi, l’Etat, c’est nous.

2 commentaires

  1. Malgré sans doute un immense orgueil,Louis le Quatorzième a prononcé ce célèbre mot tout imbu et imprégné qu’il était de sa dimension de Père des Français,ceux-ci donc étant eux-meme l’  » état » .

    Quand je dis Je suis la Famille ( la mienne,avec 5 rejetons) je dis vrai,jusqu’à la majorité de mes enfants : ce n ‘est pas un orgueil mal plaçé,c’est reconnaitre l’entièreté de ce groupe,que je représente certes,mais pour lequel je suis pret à tout donner – enfin presque :) ) s’ils sont sages !

    On a dévoyé cette phrase célèbre,à mon avis,pour salir un peu plus la royauté ointe,ou la ridiculiser …
    Ce n’est que mon humble opînion,cher Jus !

    Commentaire by jerome — 22 mars 2009 #

  2. A ma connaissance, cher Jérôme, cette phrase, dont l’authenticité est d’ailleurs controversée, a été prononcée par Louis XIV en réponse au Parlement de Paris, qui parlait de l’intérêt de l’État. Donc qui assimilait l’État à la France, et qui a été violemment et royalement contredit. Ce serait donc Louis XIV qui se serait arrogé le monopole de l’intérêt de l’Etat. De ce fait, quand la monarchie a été délégitimée en 1789, il y a eu lutte pour savoir qui allait désormais incarner l’Etat: le tiers-Etat, puis, graduellement, les Jacobins. On sait ce qu’il en fut, et la victoire de la bourgeoisie.
    Laquelle bourgeoisie a été graduellement dépossédée dans l’après-guerre. Dépossédée financièrement, puisque plus de 30% du revenu des Français leur vient par « redistribution » de prélèvements largement payés par ladite bourgeoisie. Dépossédée politiquement car, depuis Giscard et Barre elle n’a pas été au pouvoir alors qu’elle est le principal bailleur de fonds publics. Or Marx a dit que toute classe qui dominait économiquement finissait un jour ou l’autre par aussi dominer politiquement. Et elle a avec Sarkozy un Président dont le programme qui lui convenait. Ce qui se voit notamment par le fait qu’il y a moins de départs vers l’étranger de Français riches, et plus de retours. Si celui-ci -et la crise- lui donnent -encore une fois- le sentiment d’être trahie, il y aura bien révolte. Mais pas celle qu’annonce M. Fabius avec gourmandise.

    Commentaire by JM2 — 22 mars 2009 #

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