Le capitalisme a-t-il manqué de solidarité?

mars 27, 2009 on 8:02 | In Economie, France, International | Commentaires fermés

Prenons un mot au hasard, par exemple « solidaire ». Un joli mot, très à la mode, surtout quand il concerne les autres. Changeons une de ses lettres, une seule. Le « d », par exemple, et remplaçons le par un « t ». Et hop, cela donne « solitaire », ce qui n’est pas tout à fait pareil.

A quoi rime cet exercice? A voir ce qui se passe dans le monde de la finance. Deux cadres supérieurs d’AIG France viennent de démissionner, et un aux Etats-Unis, au motif que la distribution de leurs bonus pour l’année 2008, maintes fois promise, confirmée en pleine tempête financière mondiale, est maintenant prise dans une tourmente éthico-démagogico-politique. Et que, pour eux, ne pas recevoir de bonus, et être traités de rapaces immoraux pour avoir prétendu en recevoir est insupportable. Moyennant quoi, ils ne le supportent pas, et s’en vont.

Au cœur de leur argumentation, le fait que l’unité pour laquelle ils travaillaient n’avait rien à voir avec celle qui a valu sa triste déconfiture au géant de l’assurance américaine. Et que donc, ils se sentaient tout à fait étrangers aux troubles d’AIG, et avaient le sentiment du devoir accompli avec compétence et diligence. Deux mots qui, à leurs yeux, riment avec récompense. Une rime, qui, cela va de soi, est « riche ».

Voici donc nos cadres d’AIG qui réfutent toute solidarité avec le reste de l’entreprise. Ne se sentant pas solidaires de ses turpitudes, il ne se sentent pas plus solidaires du remède de cheval qui lui est administré. Ils regardent le travail qu’ils ont accompli isolément du reste de l’entreprise. Comme des solitaires, et non comme des solidaires.

Une lettre change, et tout est changé.

Ce qui pourrait n’être qu’un avatar banal dans le cours de la crise qui secoue notre monde est au contraire éclairant. Car ce spasme est né de ce que chaque acteur économique n’a pensé qu’à son bien-être solitaire, sans se soucier des risques collectifs que cela faisait prendre à tous. Alors que c’est bel et bien la solidarité collective qui est venu au secours des naufragés (sauf Lehman) des aventures solitaires.

Et aujourd’hui, nul ne se sent solidaire des banques ruinées, bien au contraire, alors même que nous avons tous bénéficié de la prospérité induite par leur orgie de crédit. Et aucun banquier n’a démissionné après avoir présenté ses excuses, plein de honte pour ce qui s’est passé, alors même qu’il en aurait reçu des rémunérations pharaoniques.

Au contraire, chacun veut profiter à fond des fonds (!) que l’urgence a fait trouver aux gouvernements pour s’en approprier une part, et les grands cadres financiers se désolidarisent de leur établissement infirme.

Le G20 se réunit pour trouver de nouvelles « règles du jeu », et il est déjà clair qu’elles consisteront en de nouvelles et restrictives mesures de contrôle, notamment pour les hedge funds. Quoiqu’on puisse aussi écrire, en ces temps solitaires, « contre » les hedge funds, pour les désigner comme coupables ce qui absout les autres au passage.

Le décret que va prendre le Gouvernement français la semaine prochaine est d’une toute autre nature. Il dit « pas de rémunération complémentaire dès lors qu’il y a aide de l’Etat ». Là où ceci intéresse JusMurmurandi, c’est la différence avec ce qu’ont fait les Américains, qui ont voté une taxation à 90% de ces rémunérations. Le principe américain taxe et punit, et, bien évidemment, va pousser les « victimes » à chercher le moyen de contourner cette quasi-confiscation. Le principe français créé ou recréé une solidarité imposée entre la performance d’une entreprise et la rémunération de ses dirigeants.

Il est trop tôt pour savoir comment va se faire la sortie de crise, qui finira bien par arriver un jour ou l’autre. Mais ce qui est sûr, c’est que, tant que le système permettra à chacun de s’isoler solitairement des conséquences collectives, d’autres crises identiques sont inévitables. Inversement, recréer une solidarité systémique oblige les énergies à travailler dans le même sens. Et cela n’a rien à voir avec un quelconque socialo-communisme.

Ce dernier système impose l’Etat comme acteur économique central, censé être impartial et attaché au bien-être commun. On sait à quel point cette représentation est idéalisée, et loin des pachydermes bureaucratiques qu’on observe dans la réalité. La solidarité dont parle JusMurmurandi se fait au niveau individuel, donc capitaliste, par des « règles du jeu » simples: pas d’îlots de prospérité s’il y a océan de pauvreté. Pas de bonus quand il y a des pertes. Pas de parachutes dorés quand l’avion s’écrase. Et ainsi de suite.

Non seulement ce n’est pas du socialisme, mais ce principe oblige les acteurs économiques à effectivement bénéficier ou pâtir de la prospérité de leur entreprise. Quoi de plus capitaliste que cela? Alors que le système solitaire permet de s’abstraire des conséquences de ses errements, tels des apparatchiks de l’époque soviétique.

JusMurmurandi serait-il devenu utopiste?

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