La toute-puissance des victimes

avril 9, 2009 on 6:13 | In Coup de gueule, France, Incongruités | Commentaires fermés

C’est à la mode. Les victimes sont les nouveaux notables de notre société. Rien de tel que d’être une victime pour avoir tous les droits. Car être une victime donne droit à des compensations. Et il est terriblement politiquement incorrect de ne pas reconnaître ces droits aux victimes, même quand il y a des abus manifestes, même quand il n’y a absolument aucun lien entre le droit que s’arroge la victime et la cause de son état.

Quelques exemples: en France, le « truc » pour obtenir plus d’argent en cas de licenciement, c’est de séquestrer le patron. Comme ça l’air de marcher, les cas se multiplient, notamment chez Caterpillar. Nicolas Benoît, délégué CGT du comité d’entreprise de Caterpillar, le dit sans ambages: les salariés licenciés sont victimes d’un licenciement. Du coup, il demande 3 mois d’indemnités pour chaque année d’ancienneté. Ce qui fait, pour quelqu’un qui a 20 ans de maison, pas moins de 5 ans de salaire, sans impôts. Même s’il retrouve un emploi le lendemain. Victime, à ce compte là, ce ne serait pas si mal.

De même, Ségolène Royal indique que les salariés licenciés ont le droit de tout faire « pour forcer le barrage de l’injustice absolue ». Et le PS, Martine Aubry et Benoit Hamon en tête, d’approuver les propos de Ségolène Royal.

La définition que donne Wikipedia de « victime » est la suivante: Une victime est une personne qui subit personnellement un dommage. C’est une personne qui subit les mauvais traitements, les injustices d’autrui, ou qui subit les conséquences d’un accident, d’une catastrophe, d’un cataclysme. »

A partir de là, il faut savoir si une personne victime d’un licenciement est victime d’un accident ou d’un mauvais traitement, d’un injustice ou d’une catastrophe.

Vous me direz: quelle importance que ce débat linguistique et sémantique? C’est que, contre les conséquences catastrophes et les accidents, il y a des assurances. Comme la conséquence du licenciement est, au moins transitoirement, le chômage, ce n’est pas par hasard qu’on observe qu’il y a une assurance-chômage.
Mais, s’il y a des mauvais traitements et de l’injustice, alors il y a des dommages et intérêts, et, s’il y a vengeance, des circonstances atténuantes. C’est clairement sur ce terrain-là que se situent les socialistes.

Donc, s’il y a injustice et mauvais traitements, cela veut dire que les patrons et les entreprises sont coupables. Ce qui, évidemment arrange le PS, qui peut les désigner à la vindicte publique et reprendre, sous cette forme modernisée, sa vieille lune de lutte des classes.

Tant qu’à faire, ce sont tous les travailleurs qui sont désignées « victimes de la crise », ce qui permet de revendiquer en leur noms des avantages même quand ils n’ont subi aucun dommage. Car, comme d’habitude en France, ce sont les gens qui ont un emploi qui revendiquent, contribuant à s’attribuer plus d’acquis, au lieu de les voir attribuer à ceux qui n’en ont pas. Il faut dire que les syndicats sont des syndicats de travailleurs et non pas des syndicats de chômeurs. Un exemple: la Guadeloupe et la Martinique, où la principale revendication a été 200€ de plus pour tous les bas salaires. On sait bien que le coût du travail en hausse se traduit par un emploi en baisse. Qu’importe à M. Domota! Ce sera la faute aux békés et à l’Etat, dont les Guadeloupéens seront les victimes, victimes qu’il conviendra donc de dédommager encore plus…

Du point de vue de la victimologie, Nicolas Sarkozy et une vraie bénédiction pour la gauche. Il est tellement facile de se dire victime de Sarkozy, de son activisme, de sa politique, de la crise. Et de s’en servir pour s’attribuer une supériorité morale si chère à la gauche. Un exemple: Ségolène Royal à Dakar.

Elle, qui y est née, trouve que les Africains ont été victimes d’un discours du Président français. Et elle demande pardon aux Africains pour le discours présidentiel, et les assure qu’il ne représente ni la France ni les Français. En quelque sorte, la France et les Français sont victimes de Sarkozy. Évidemment on comprend le bénéfice politique, le succès facile de Ségolène, sous l’œil des caméras. Il est beaucoup plus populaire de « plaindre » les Africains que de les encourager à se prendre en main. Beaucoup plus facile de jouer sur la compassion larmoyante que de les traiter en adultes capables de se débarrasser des tares de le leurs sociétés, mal gouvernées, c’est le moins qu’on puisse dire, par trop de dirigeants autoritaires, corrompus et incompétents.

Il y a d’ailleurs chez Ségolène une constance à se dire attaquée, vilipendée, calomniée. Elle a dit qu’au temps de Jeanne d’Arc, elle eût été brûlée, qu’aucune femme politique n’avait été autant attaquée qu’elle. Autant de tentatives de s’ériger en victime pour en obtenir une position de supériorité morale à partir de laquelle tirer à boulets rouges sur ses contradicteurs, nécessairement vils et infâmes.

Vous n’y croyez toujours pas? Il vous suffirait de lire les commentaires de tout blog sur un thème comme celui-ci, et de constater la supériorité morale que s’arroge la prétendue victime (autoproclamée) de mon post. Pour y arriver, il me suffit de donner quelques exemples bien croustillants, comme la façon dont un Le Pen ou un Dieudonné multiplient sciemment les provocations de façon à être attaqués et condamnés, les élevant ainsi au rôle de martyre de la liberté d’opinion et de parole…

Sauf que, quand toute la France se sera persuadée d’être une victime, quand tous les patrons voyous, c’est à dire tous les patrons, auront été envoyés au bagne de l’Île du Diable, fers aux pieds et aux mains, quand Sarkozy aura été dépossédé de son bureau élyséen, quand nous pourrons tous nous prélasser dans notre supériorité morale, d’où viendra l’argent de nos indemnités?

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