Des agences notées zéro, des petits cochons, et l’éternel recommencement

décembre 11, 2009 on 7:16 | In Ca m'énerve, Coup de gueule, Economie, Incongruités, Poil à gratter | 4 Comments

JusMurmurandi l’avait annoncé, et c’est arrivé, le monde sait maintenant que la Grèce est au bord de la faillite. C’était notoire, et c’est public. La faillite, en l’occurrence cela veut dire qu’elle ne trouvera pas forcément preneur pour la dette d’Etat. Sans possibilité d’emprunter comme elle veut, elle ne pourra ni exécuter son budget (payer ses fonctionnaires par exemple) ni rembourser sa dette existante (113% du p.i.b.!). Bref, la faillite…

Alors on peut toujours se dire qu’on va trouver des artifices pour « forcer » des acheteurs à avaler cette dette dont ils ne veulent pas vraiment pendant encore un temps, histoire de jouer un mauvais remake d’ »encore un instant, Monsieur le Bourreau ». Possible. Mais il y a un butoir. Pour emprunter auprès de la Banque Centrale Européenne (BCE), les banques grecques, comme les autres banques européennes, doivent déposer des actifs en gage. Et la grande majorité de ces actifs est aujourd’hui constituée de dette de l’État grec. Laquelle dette vient d’être dégradée à BBB+ par l’agence Fitch.

Or BBB+, cela veut dire qu’elle n’est plus notée A. L’échelle de notation des agences allant de AAA (la meilleure) à A (la moins bonne de la catégorie), pour tomber ensuite à BBB, puis BB, B, etc…, le tout avec des demi-crans marqués par de « + » et des « - ». Or la catégorie des B, à laquelle la dette grecque appartient maintenant, signifie qu’elle est « spéculative ». En d’autre termes, dette trop risquée pour pouvoir être gérée, achetée et revendue comme de la dette classique. C’est la voie vers les célèbres « junk bonds », ou obligations pourries, c’est-à-dire à très fort risque.

Le problème pour la Grèce, c’est que la BCE ne peut, de par sa charte, accepter comme garantie que des actifs de catégorie « A », sauf pendant une période d’exception d’un an. Donc, fin 2010, les banques grecques vont devoir retirer leurs actifs sous forme de dette grecque en gage à la BCE et les remplacer par de meilleurs actifs. Sauf qu’elles n’en ont pas, s’étant gavées de dette grecque et par obligation et par avidité (la dette grecque paie aujourd’hui 5,33% pour du 10 ans, là où la dette allemande, elle aussi en euros, paie 3%, soit à peine plus de la moitié. Donc à fin 2010 au plus tard, « il faut » que la note de la Grèce soit remontée à A-, ou alors c’est la catastrophe par infarctus de tout le système bancaire grec.

La Grèce n’est d’ailleurs pas le seul pays d’Europe dans ce cas, puisque les marchés financiers ont dénommé PIGS (cochons) les pays qui se sont goinfrés de dette jusqu’à l’indigestion. PIGS comme Portugal Ireland Greece Spain. L’italie n’étant pas loin de rejoindre ce groupe, et la France, pas encore tout près mais pas si loin que cela non plus. Et, évidemment, parce que les Grecs sont dans le mur, les marchés s’inquiètent pour les autres « cochons » et le Premier Ministre espagnol Zapatero a dû publiquement déclarer que « l’Espagne n’avait aucun problème pour se financer », ce qui veut, en fait, signale exactement l’inverse.

Mais ce n’est pas la situation grecque qui intéresse JusMurmurandi, pour qui cette messe-là est dite depuis un certain temps déjà. Non, ce qui nous interpelle, nous indigne, nous révolte même, c’est que tout le système ne repose que sur les notes décernées par les agences dont c’est le métier. Elles ont pour noms Standard & Poors, Moody’s, et Fitch. Et ce sont les mêmes qui ont notés « AAA » les célèbres sub-primes pendant toute la période de bulle de crédit, la transformant en bulle immobilière.
Avant de les dégrader aussi brutalement que possible au plus mauvais moment, ce qui a gravement accentué la baisse des valeurs et rendu toute stabilisation des marchés impossible.

Bref, ces agences, payées fort cher pour leur prétendue compétence en matière de notation, avaient gaiement participé à la gabegie au mépris de toute prudence. C’est comme si les gendarmes participaient au partage du butin après un cambriolage. On ne serait pas prêt de trouver les voleurs. Même Guignol n’avait pas pensé à cela.

Pendant la crise, il y a bien eu une vague d’indignation vengeresse contre ces agences de notation, et des déclarations pleine d’emphase pour annoncer que ce système ne pouvait être laissé en l’état, et serait réformé en profondeur. Déclarations dont rien n’est sorti, puisque c’est la dégradation d’une note par une agence qui actionne encore et toujours les seuils de crise.

Or, pour mesurer à quel point les agences notant la Grèce, conscientes de ce que tout retard et toute complaisance pouvaient donner à croire qu’elles n’avaient rien appris de la crise de 2008-2009, et rien changé en conséquence, ont agi avec promptitude: dans la semaine qui a suivi le commentaire de JusMurmurandi. Voilà bien la peine de les payer très cher et de leur confier les clefs de la BCE, si elles sont en retard sur un simple blog non spécialiste en finance….

Bref, l’un des pires mécanismes ayant conduit la crise précédente est toujours intact, indemne, et prêt à démontrer encore une fois l’adage militaire « même motif, même punition! »

Deux petits commentaires incidents pour les amateurs:

- pendant que les agences tardaient à agir sur la note grecque, il était facile de gagner de l’argent: il suffisait de vendre la dette à découvert. Il était inévitable qu’elle soit un jour dégradée, et donc baisse fortement de valeur. Voilà un short sans risque… grâce aux agences.

- en surfant pour me documenter sur ce sujet, je suis tombé sur le blog de Ségolène Royal, Désirs d’Avenirs, qui a publié, au milieu d’annonces pour des tickets de spectacles à -50%, un article sur le même sujet. Sauf que celui-ci confond la dégradation des notes des banques grecques, sans conséquence sauf d’augmenter un peu leur coût de refinancement, et celle de l’État grec, qui est l’objet de cet article. Visiblement la candidate et les auteurs du blog ont tout compris. Vivement qu’ils soient aux affaires. Comme les finances ne sont visiblement pas leur truc, il leur suffira de faire confiance aux agences de notation pour savoir ce qu’il faut faire…

4 commentaires

  1. Puisque vous murmurez à la plus immorale de mes oreilles, j’ai fait de la vente à découvert sur S&P, Moody’s et Fitch, voilà !

    Elle est formidable Ségo…

    P.S. Vous êtes un bon pédagogue, grâce à vous (et à ma formidable force de persuasion), mon père (moi je suis fauchée, et pas assez méthodiste pour réfréner mon goût du risque) s’est lancé sur la chute du brut, merci.

    Commentaire by dom — 11 décembre 2009 #

  2. L’un des pires mécanismes ayant conduit la crise précédente ?

    Les grands responsables de la crise des subprimes sont aussi Clinton et son administration qui, en 93-95, ont obligé les banques à prêter aux ménages défavorisés, pour augmenter le nombre d’accessions à la propriété, en promettant la garantie de Fannie et Freddie elles-mêmes garanties par l’Etat.
    Et avant ça, l’administration Johnson a une part de responsabilité, ayant privatisé Fanny Mae en 68.
    Et l’administration Nixon qui a créé Freddie Mac en 70.
    Et les dirigeants des 2 organismes.
    Et les agences de notation ont fait l’erreur de croire que le statut de GSE, entreprises privées d’Etat (!), garantissait l’aide de l’Etat en cas de défaillance.
    Et les banques ont fait l’erreur de miser sur les titres créés pour vendre la dette.
    Qui porte la plus grande responsabilité ?
    En tout cas, au passage, pas, comme le veut la rumeur populaire, l’administration GW Bush qui a tenté, entre 2000 et 2004, d’arrêter cette politique de prêts immobiliers à haut risque et qui s’est heurtée à l’opposition des démocrates et d’une partie des républicains.

    Commentaire by Paulot — 13 décembre 2009 #

  3. Paulot, tout ce que vous écrivez est strictement vrai. Mais, à notre avis, vous n’écrivez pas tout. Car vous ne mentionnez que des faits américains. Alors, si tel était le cas, pourquoi la Grande-Bretagne a-t-elle du nationaliser presque toutes ses banques? Pourquoi l’Islande a-telle disparu de la carte du monde financier? Pour quoi les oligarques russes avaient-ils, au 31/12/2008 perdu 300 milliards de dollars? Pourquoi Dubaï vient-il de fondre les plombs?
    En fait, à notre sens, la crise de 2008/2009 est avant tout due à une orgie mondiale de crédit trop abondant, trop facile, trop bon marché. Les banques ont abusivement multiplié les crédits grâce à des mécanismes et produits innovants, notamment les CDS et la titrisation. Et quel est l’instrument qui a rendu cela possible? La notation de ces produits. Si les agences avaient correctement évalué le sur-engagement des banques et des assureurs et réassureurs, y compris ceux que vous nommez, la dégradation de leurs notes les aurait ramené dans le droit chemin, de gré ou de force. Au lieu de quoi les agences ont froidement noté AAA des paquets de sub-primes titrisés pour peu qu’une compagnie d’assurance leur apporte sa garantie, qui, elle-même n’aurait pas du valoir grand-chose. Et tout ce beau monde a pris des commissions sur ces montages.
    Donc les agences ne sont pas les seules coupables, mais si elles n’avaient pas si tragiquement failli dans leur rôle de gendarme, la crise n’eût pas existé, ou avec une ampleur infiniment moindre.

    Commentaire by JM2 — 13 décembre 2009 #

  4. Chère Dom, je ne crois avoir écrit que le pétrole allait baisser. Et le monde financier est trop respectueux des vraie valeurs pour oser initier ce genre de mouvement baissier sans l’onction de JusMurmurandi…:-)
    En fait, le pétrole pourrait bien monter en termes de dollars, poussé par la reprise de l’économie mondiale et par la faiblesse prévisible de la monnaie américaine. Enfin, ce que j’en dis…

    Commentaire by JM2 — 13 décembre 2009 #

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