Faut-il brûler Céline?

janvier 21, 2011 on 12:08 | In Ca m'énerve, Coup de gueule, France, Incongruités, Poil à gratter | 4 Comments

La République se préparait à célébrer Louis-Ferdinand Céline, écrivain de grand talent et anti-sémite lamentable. Serge Klarsfeld s’indigne, et exige de Frédéric Mitterrand l’annulation de toute manifestation.

L’une des caractéristiques de l’art est que la création artistique dépasse son auteur, et appartient au monde entier. Ceci permet de condamner l’homme tout en admirant et respectant l’artiste. Sinon, s’il fallait excommunier tous les artistes à chaque fois que l’homme le mérite, quel autodafé digne de l’Inquisition espagnole.

Ainsi, les charmantes « lettres de mon moulin » d’Alphonse Daudet doivent-elles être proscrites parce que leur auteur était un furieux anti-sémite, et père de Léon Daudet qui ira jusqu’à personnifier cette pensée?

Allons plus loin. Les nazis adoraient la musique de Wagner, lequel exaltait les héros et dieux fondateurs du mythe germanique. Faut-il bannir la musique de Wagner, par ailleurs lui aussi anti-sémite? Et tant qu’à faire celles de Brahms et Beethoven, elles aussi très prisées des nazis et du Führer? Pour mémoire, JusMurmurandi rappelle les paroles du chorale de la IXe symphonie, peut-être son œuvre la plus connue: « alle Menschen werden Brüder », ou « tous les humains seront frères ». Alors, faut-il choisir la fraternité de Beeethoven ou brûler celui que les hitlériens ont adoré?

Et, comme les nazis n’ont pas le monopole de l’abjection, tous les artistes emblématiques du stalinisme sont-ils aussi à proscrire, comme le compositeur Chostakovitch? Et tous les écrivains qui ont approuvé et cautionné le stalinisme, comme Brecht, Sartre et Camus, entre mille, car pendant des décennies, la majorité du monde intellectuel était pro-communiste?

Non vraiment, M. Klarsfeld, on peut aimer le « voyage au bout de la nuit » sans être un affreux anti-sémite adepte de la solution finale. Il faut condamner les hommes qui en sont coupables, mais laisser le monde bénéficier de leurs contributions artistiques. Quand on brûle un livre, comme celui de Céline, c’est la même pratique par laquelle les nazis ont voulu purger leur monde de toute pensée qui ne leur convenait pas….Louis-Ferdinand Céline

4 commentaires

  1. très bien vu et très juste, bravo!

    Commentaire by Chrisos — 21 janvier 2011 #

  2. Oui mais sauf que Klarsfeld n’a pas demandé qu’on brûle ses livres, il s’est juste indigné que l’état français rende un hommage  »officiel » à cet écrivain, ce qui est sensiblement différent et qui se défend.
    Je suis d’ailleurs totalement d’accord avec lui.
    Ça n’enlève en rien le talent de son écriture mais rendre hommage à ce genre de type, c’est un peu déplacé me semble-t-il.

    Commentaire by bilbothobbit — 26 janvier 2011 #

  3. Merci pour cet article intéressant ! Juste une remarque au sujet de Chostakovich : il n’a jamais cautionné le stalinisme, même s’il ne correspond pas à l’image lyrique qu’on peut avoir du résistant à l’oppression totalitaire… Bien sûr, sa musique est marquée par le totalitarisme, et il a composé quelques oeuvres pour « sauver sa peau » (surtout la cinquième symphonie). Mais même ses oeuvres estampillées Jdanov sont complexes et d’une certaine manière grinçantes.
    Tout ça pour dire qu’à mon avis un compositeur qui a su si bien exprimer le réel, la souffrance, la folie du stalinisme ne mérite pas de figurer à côté d’idéologues comme Sartre, Aragon ou Céline (attention, je ne nie pas leur talent).

    Commentaire by fandechostakovich — 30 janvier 2011 #

  4. La question que vous posez, chers bilbohobbit et fandechostakovitch est en fait la même à mon sens. Où commence une tolérance excessive par un artiste d’un régime ignoble. D’où le côté fourre-tout de ma liste, depuis le simple « j’ai fait ce qu’il fallait pour survivre » de Chostakovitch » jusqu’à l’apologie sartrienne, à laquelle j’aurais pu ajouter la cinéaste apologue Leni Riefenstahl, ce qui eût eût-être rendu mon propos plus clair. Cohabiter en tant qu’artiste « propre » avec le politique « sale » est-il possible si la cuiller est assez longue? C’est la question que pose l’excellente pièce de théâtre « A tort ou à raison » sur le procès en dénazification de Furtwängler. Mais, pour ce qui est des artistes, toute condamnation idéologique donne des boutons à JusMurmurandi, car cela a mené à trop de bûchers, et la pente est savonneuse qui commence par « ne pas célébrer » jusqu’aux premières flammes vertueuses et purificatrices. Savonarole, nous voilà!

    Commentaire by JM2 — 2 février 2011 #

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