Et si la Chine était la prochaine Tunisie?

février 15, 2011 on 7:50 | In Ca m'énerve, Coup de gueule, France, Incongruités, International, Poil à gratter | Commentaires fermés

Poser cette question est certainement bizarre au lendemain du jour où la Chine est officiellement devenue la deuxième puissance économique de la planète. Quel rapport peut-il y a voir entre un pays peuplé de plus d’un milliard d’habitants et un relativement petit pays du Maghreb qui vit de tourisme et de sous-traitance pour l’Europe?

C’est que, par-delà les différences massives, un scénario à la tunisienne est tout à fait possible en Chine. Car celle-ci est un pays à (au moins) deux vitesses. La Chine agricole, rurale, où vivent plus de 75% de la population, et où les choses ne changent « que » lentement, avec une croissance de 1 à 3% suivant les années et le temps qu’il fait. L’autre Chine, urbaine et industrielle, où la croissance dépasse les 15%, voire 20% par an, où les salaires et l’immobilier flambent (un employé « occidentalisé » coûte maintenant plus cher à Shanghai qu’en France) et qui empile records (de croissance, d’enrichissement, d’investissements, d’excédents) et défis (approvisionnement en matières premières, inflation, pollution, qualité de vie, entre autres).

Le défi des dirigeants chinois est de gérer le pays et sa gigantesque et complexe économie de façon à ce que ce puzzle reste entier. Et notamment que le secteur « moderne » génère assez de nouveaux emplois pour absorber les dizaines de millions de migrants de l’exode rural. Si on ajoute à ceci que la Chine est une dictature politique auprès de laquelle les régimes de Ben Ali et Moubarak ressemblent à des pensionnats pour jeunes filles, les contours d’une crise à la tunisienne deviennent plus visibles. Ajoutez-y une composante aussi impopulaire la-bas qu’ailleurs, à savoir une corruption massive, accompagnée d’abus de pouvoir extrêmement visibles et choquants. Que ceux qui en veulent un exemple cherchent par exemple sur Internet la phrase « mon père s’appelle Li Gang! »

Imaginons donc que, sous l’effet combiné d’une hausse du yuan qui rend les exportations chinoises moins concurrentielles et de coûts et prix à la hausse (la Chine n’est déjà plus le producteur le moins cher en matières de textiles notamment), et d’un ralentissement du marché intérieur pour cause de politique monétaire restrictive pour calmer l’inflation, qui est aujourd’hui beaucoup trop élevée (certainement supérieure à 10%, peut-être même à 15%), l’économie subisse un « coup de froid ». C’est le point de départ de la crise tunisienne. Ajoutez-y une répression brutale et maladroite d’un pouvoir éclaté et écartelé entre des tendances divergentes, et tout est en place pour que le mécontentement cristallise et forme un soulèvement populaire comme le monde n’en a pas connu.

Inutile que cela causerait un tsunami économique lui aussi sans précédent, car ce sont les Chinois qui non seulement fournissent nos produits de consommation, mais aussi qui achètent notre dette et donc financent nos déficits. Un tel soulèvement serait donc catastrophique pour la planète, ce qui veut que nous avons un intérêt majeur au statu quo.

Que diront alors tous les beaux esprits (de gauche pour l’immense majorité d’entre eux) qui aujourd’hui se pavanent à Tunis et vilipendent le gouvernement d’avoir « fricoté » avec Ben Ali? Qu’il ne fallait pas parler avec la Chine? Qu’il fallait préférer le Tibet, ou le Falun Gong à une économie vitale pour la nôtre? Qu’il fallait donner des leçons aux Chinois du haut de notre morale supérieure à une civilisation plus ancienne que la nôtre, sans voir que le monde a changé, comme l’avaient pressenti avant tous les autres De Gaulle et Peyrefitte?

Une réponse simple: croyez-vous que toutes les gesticulations des mêmes donneurs de leçon aient amélioré le sort de Florence Cassez? Ne valait-il pas mieux laisser la diplomatie agir discrètement au lieu de fanfaronner sur une place parisienne pour se donner bonne conscience? En en faisant une cause symbolique, les manifestants ont forcé le Mexique à claquer la porte pour ne pas se déjuger de façon humiliante face à un pays qui, rappelons-le, n’a pas de leçon à lui donner, l’ayant honteusement et lamentablement envahi en tentant d’imposer l’Empereur Maximilien.

Oh oui! Comme JusMurmurandi adore de tels donneurs de leçons! Et tant pis pour les conséquences!

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