Avions ravitailleurs Airbus et Boeing: une décision stupéfiante

février 29, 2008 on 5:01 | In Economie, France, International | 6 Comments

La décision est tombée hier soir: l’US AIR Force a décidé l’attribution du contrat portant sur 179 avions ravitailleurs à Airbus, associé à Northrop Grumman, contre Boeing. Ce contrat pourrait atteindre une valeur de 40 milliards de dollars, et est donc l’un des plus grands jamais attribués. Qui plus est, il ne porte que sur une partie de la flotte de l’US Air Force. 2 contrats supplémentaires pour achever le remplacement intégral pourraient en porter la valeur totale à 100 milliards de dollars. Un montant énorme.

Cette décision est encore susceptible de recours, donc il faut se garder de considérer l’étape actuelle comme définitive. JusMurmurandi rappelle qu’un premier épisode avait vu la victoire de Boeing, pour 100 avions pris en leasing. Ce contrat fut cassé dès lors qu’une enquête montra que Boeing l’avait obtenu avec des complicité actives et rémunérées au sein de l’US Air Force. Son PDG dut partir et 2 cadres allèrent en prison.

Il est de fait que la perte de ce contrat n’est pas sans précédent chez Boeing, qui a vu 2 gigantesques contrats d’avion militaires accordés à son concurrent Lockheed Martin, celui du F22 Raptor et celui du F35 Lightning II (ex JSF). Si Boeing décidait d’un recours contre l’US Air Force, cela pourrait ne pas plaire à son client, très désireux de remplacer au plus vite ses avions d’un âge allant jusqu’à 50 ans (!) Il y aurait donc un risque pour Boeing de mettre en danger ses bonnes relations avec l’Air Force pour de futurs contrats.

JusMurmurandi rappelle aussi que l’avion européen est fondé sur l’Airbus A330, un avion de 12 ans plus récent que le Boeing 767 concurrent. Il est également plus gros, correspondant de ce fait mieux au cahier de charges de l’US Air Force.

Quoiqu’Airbus ait décidé d’assembler cet avion dans l’Alabama, le contenu européen sera encore très important, puisque l’usine américaine ne créera « que » 300 emplois directs et 1000 emplois indirects aux USA. Ce qui soulève déjà des protestations véhémentes des politiciens et syndicats américains en ces temps de campagne électorale.

Même si Airbus est une société très atypique dans le paysage industriel français, JusMurmurandi souhaite bonne chance à tous les avocats anti-mondialisation, pour montrer que ce phénomène n’a que des effets négatifs pour la France.

Un autre sujet de réflexion intéresse JusMurmurandi. La France a fait le choix inverse de confier ses gros contrats d’armement à ses industries nationales, conduisant parfois à des programmes terriblement chers et qui ne génèrent aucune exportation rentable (avion Rafale, char Leclerc, porte-avion Charles de Gaulle). Vaut-il mieux défendre ces industries à tout prix, ou est-il préférable d’avoir les meilleures fournitures au meilleur prix, quitte à les obtenir en tout ou partie à l’étranger?

Enfin, JusMurmurandi est prêt à parier que cette nouvelle fera beaucoup moins de bruit dans la presse française que la perte de 500 emplois, même sans licenciements, dans une usine en restructuration. Comme quoi les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent pas grand-monde. Sauf que 100 milliards de dollars, c’est un très, très gros train.

Chapeau, Airbus!

Airbus ravitailleur

6 commentaires

  1. Chapeau Airbus ? Les médias américains parlent surtout d’un succès de Northop, qui s’est associée avec Airbus. Je trouve qu’il est un peu précipité pour chanter les louanges de la mondialisation car les effets bénéfiques pour l’Europe restent à prouver.

    D’abord, il ne s’agit que d’un accord de base. Si Boeing évitera peut-être, comme le signale l’article, de contester la décision du Pentagone, l’opinion publique américaine où des lobbyes politiques pourraient encore le remettre en cause.

    Ensuite, puisqu’on parle des médias qui pleurent à la moindre délocalisation, la « victoire » d’Airbus n’échappent pas à cette logique puisqu’au final, l’entreprise annonce qu’elle va délocaliser l’usine de montage en Alabama. Votre article dit que cela ne créera « que » 300 emplois directs (mais pour en stimuler 25000 d’après certains chiffres). Mais il n’est écrit nulle part que cela va en créer en Europe.

    Un train de 100 milliards de dollars ? Avec la chute du dollar, il vaut mieux qu’il arrive à l’heure en effet. Et qui ne profitera pas forcément à l’Europe mais d’abord à une entreprise européenne qui est en train de fuir son continent d’origine. Airbus annonce qu’il va investir plusieurs milliards de dollars aux Etats-Unis alors qu’on sait qu’elle peine à financer tous ses programmes de recherche depuis la crise de l’A380. Cette entreprise amorce ainsi son mouvement de transfert hors de la zone euro, qui pénalise sa compétitivité.

    Enfin cet évènement pourrait avoir des effets négatifs sur un plan politique. En effet, le gouvernement américain, en tant que gros client, pourrait exercer des pressions sur l’avionneur européen. Airbus va devoir financer des cohortes d’avocats et de lobbyistes à Washington ou à Seattle, ce qui fera toujours autant d’emplois de gagnés aux Etats Unis. Ces derniers pourront aussi revendiquer une ouverture accrue des marchés européens de fournitures militaires.

    AUCUN article, pas plus que celui-ci, ne parle de créations d’emplois en Europe. Avant de crier victoire (pour Airbus ou pour l’Europe), il faudrait s’assurer que cette nouvelle n’aura pas de conséquences plus graves que la délocalisation d’une usine de 500 salariés. Et pour l’instant celà y ressemble. L’Alabama nous dit merci.

    Commentaire by Thémistocle — 1 mars 2008 #

  2. Merci de votre commentaire détailé, Thémistocle. Si l’on comprend bien votre argumentation, la victoire d’Airbus, à supposer qu’elle se confirme, va créer des emplois Aux USA mais pas en Europe. D’abord, dites-vous, parce que personne ne l’a annoncé. Vous pemettrez à JusMurmurandi d’attendre avant d’annoncer un chiffre, compte tenu que notre article était en ligne quelques heures à peine après l’annonce officielle.
    Maintenant, sur le fond, il faudrait que vous nous expliquiez comment Airbus va produire la contrevaleur de 20 milliards d’euros (la part nette du contrat qui lui revient) sans embaucher. Soit il y a aujourd’hui des sureffectifs massifs, soit produire un tel supplément sans effectifs tient de la baguette magique.
    Non seulement Airbus, mais aussi ses sous-traitants vont bénéficier de ce volume, et la majorité de ces sous-traitants sont européens, et beaucoup français. Eux aussi vont avoir du travail.
    En plus, ce contrat va donner à Airbus un volume supplémentaire pour sa gamme A330/A340 qui va lui donner des économies d’échelle pour sa production civile, la rendant plus compétitive.
    Voici un article très bien informé sur le sujet. Il montre que, si vous ne le voyez pas, les Américains, eux, voient bien l’impact en termes d’emplois. Cet article est en anglais. Je vois d’ici que vous reprocherez à JusMurmurandi d’avoir profité d’un travail fait par un journaliste étranger :-)
    Contrat Airbus
    Enfin, si ce n’était pas Airbus, c’eût été Boeing. JusMurmurandi a presque le sentiment que cela vous eût paru plus positif, finalement.

    Commentaire by JM2 — 1 mars 2008 #

  3. Je crois pouvoir attendre en effet. Vu mon niveau d’anglais, il va me falloir un peu de temps pour me pencher sur ce lien. Je rappelle simplement que je veux surtout éviter de crier victoire trop vite comme trop de personnes l’ont fait en apprenant l’attribution du contrat à Airbus.
    Lorsque je suis tombé sur la nouvelle, j’ai voulu en savoir plus sur Internet. Je suis d’ailleurs tombé sur ce blog par hasard. J’avais auparavant lu de nombreux discours enthousiastes mais ce qui m’a frappé, c’est que je ne trouvais pas de références sur les retombées en terme d’emplois pour l’Europe. Celles pour les Etats Unis, si (comme ici d’ailleurs).
    Airbus va devoir produire une contre-valeur de 20 milliards d’euros d’accord. Cela pourrait profiter à l’Europe (ce que j’espère) mais on ne peut le tenir pour garanti. en effet cette commande va bénéficier aux sous-traitants d’Airbus ; il s’agit de milliers d’emplois directs au bas mot. Mais je crois me rappeler que la moitié des sous-traitants d’Airbus sont américains (tout comme une bonne part des sous-traitants de Boeing sont européens heureusement). L’avantage pour l’Europe était que la phase d’assemblage se fasse sur le sol européen notamment à Toulouse. Mais comme on le sait cette étape cruciale va être récupérer par les Etats-Unis en ce qui concerne le ravitailleur. La vraie question est de savoir si les sous-traitants européens arriveront à récupérer une partie de la manne.
    Le départ de la chaîne de montage du ravitailleur pourrait effectivement libérer de la place pour optimiser les autres sites d’assemblages. Ca c’est un point positif concret. Mais j’aimerais qu’on me montre avant de me montrer satisfait.
    Je ne dis pas qu’il s’agit la d’une mauvaise nouvelle mais je suis devenu sceptique face aux effets d’annonce qui évitent de réfléchir plus loin. J’ai en mémoire la grande cérémonie de présentation de l’A380 avec nos dirigeants européens rassemblés autour d’un symbole de la réussite européenne. On connait la suite : l’A380 est devenu ensuite le symbole des faiblesses d’Airbus et d’un recul face à Boeing. En attendant beaucoup de spécialistes voyaient déjà Airbus dominer sans partage l’aéronautique mondiale sans partage, simplement parce qu’un premier modèle était sorti. Sans se demander si l’entreprise allait tenir son carnet de commande.
    Vous estimez que le contrat d’Airbus va créer des emplois en Europe parce que les Américains estiment qu’ils vont en perdre. Ca me fait plaisir de voir les Américains s’inquiéter pour leur ancienne domination aéronautique mais je reste prudent. Je vais tâcher de voir votre texte en espérant qu’il ne s’agit pas des mêmes lobbys alarmistes qui annonçaient la conquête économique des Etats Unis par le Japon dans les années 80…
    Vous croyez que cela m’aurait paru « positif » si Boeing avait emporté le marché (quoique des sous traitants européens en auraient peut-être profité) sous-entendant que je considère la victoire d’Airbus comme « négative ». Mais j’essaie surtout de dresser un bilan « neutre » sur une affaire que trop de personnes veulent présenter comme exclusivement « positive ».
    On ne prend jamais assez de recul avant de juger.
    Sur ce bonne semaine.

    Commentaire by Thémistocle — 1 mars 2008 #

  4. JusMurmurandi est d’accord avec vous, l’affaire n’est pas encore « dans le sac ». C’était d’ailleurs écrit dans l’article, qui disait: « il faut se garder de considérer l’étape actuelle comme définitive ». De façon plus précise, l’Air Force a commandé 4 avions à titre de test, mais n’a pas accordé de contrat pour l’ensemble de la production (179 avions), ce qui serait, semble-t-il, inhabituel, et pourrait ouvrir la porte à Boeing. Même si l’Air Force a vivement invité ces derniers à ne pas protester, vu le retard que cela ferait prendre à un programme lancé depuis 1996(!) pour remplacer des avions dont certains vieux de 50 ans (!!). Et même s’il est évident que l’Air Force n’ignorait pas le tohu-bohu qu’une telle décision allait causer, et ne s’est donc certainement pas lancée sans avoir solidement étayé sa décision.
    Pour le reste, notez le titre de l’article de JusMurmurandi: « uns décision stupéfiante ». Il illustre la surprise de cette décision, finalement contre nature dans le paysage des gros contrats d’armement. Et, pour en être déjà arrivé là, Airbus a droit à nos félicitations. Mais c’est parce que l’affaire n’en est « que » là (et non encore définitive) qu’il est trop tôt, au sens de JusMurmurandi, pour se réjouir des emplois futurs, et compter la recette

    Commentaire by JM2 — 1 mars 2008 #

  5. EPILOGUE :
    3 ans plus tard, Airbus voit finalement le contrat des avions ravitailleurs lui passer sous le nez. Effectivement, l’affaire était très loin d’être « dans le sac » et il était trop tôt pour faire la leçon aux avocats « anti-mondialisation ». finalement la presse française avait eu raison de ne pas trop ébruiter une annonce, qui restait à se vérifier dans les faits. Les Etats-Unis ont fait à peu de frais une annonce « stupéfiante » qui pouvait laisser croire qu’ils jouaient le jeu du libéralisme pour ramasser leurs billes au final.

    Et de toutes manières, je maintiens que le choix d’Airbus aurait été une victoire à la chinoise. Une entreprise européenne gagne un marché à l’étranger en créant des emplois la-bas et en rapportant quelques bénéfices… mais guère d’emplois.
    Il n’y a pas grand chose de bon à attendre de la mondialisation lorsqu’une puissance se pose en juge, partie et donneur de leçon.

    Commentaire by thémistocle — 25 février 2011 #

  6. Cher Thémistocle, je ne suis pas sûr qu’être d’accord avec vous sur ce que vous appelez « une victoire à la Chinoise ». C’est comme si, selon vous, le seul intérêt d’un marché était de créer des emplois en France. Pensez vous que les N°1 mondiaux français, tels L’Oréal, Air Liquide, Essilor, BNP-Paribas ou Axa (vous voyez, je choisis un échantillon divers) auraient atteint cette position en n’ayant des employés qu’en France? Ou pensez-vous au contraire que, parce qu’ils ont une grande majorité d’employés hors de France, leur contribution à l’économie française soit marginale, ce qui fait qu’on pourrait aussi bien les laisser filer entre des mains étrangères? Les faits montrent au contraire que la nationalité du centre de décision d’une entreprise a toujours des répercussions majeures sur l’emploi de ce pays, et en quantité, et en qualité. Cela étant, je crois qu’Airbus, cette dernière fois, a avant tout concouru non pas pour gagner, mais pour faire une offre à bas prix, ce qui a obligé Boeing à faire de même, et a privé de grand concurrent d’une partie d’une fabuleuse rente qu’il aurait pu mettre à profit contre son adversaire européen.

    Commentaire by JM2 — 26 février 2011 #

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