Ségolène Royal et les chiffres : réconciliation impossible ?

mars 15, 2008 on 9:13 | In Elections municipales 2008, France, Insolite, La Cour des Mécomptes | Commentaires fermés

JusMurmurandi, observateur attentif de la politique française, s’étonne et s’amuse du concours de culot auxquels semblent aujourd’hui jouer Mme Royal et M. Bayrou. Dans une récente tribune[1], M. Devedjian a dénoncé la gestion par les régions socialistes des impôts et du budget, citant, chiffres à l’appui, l’explosion de la fiscalité ou l’étrange répartition des dépenses publiques. On peut imaginer que, dans le cadre d’une campagne municipale, la pression fiscale exercée par telle ou telle équipe municipale constitue un argument majeur, et que, d’autre part, l’enjeu principal de ladite campagne consiste à informer les citoyens de la redistribution de leurs impôts.

Ce n’est pourtant pas l’avis de Mme Royal qui, dans une réponse[2] à M. Devedjian, a vivement contredit la nécessité d’avancer des chiffres. « Depuis dimanche dernier, la droite, à court d’arguments, prétend que les nouveaux élus de gauche augmenteraient les impôts », a affirmé la Madone du Poitou, suggérant par là même que l’augmentation des impôts ne serait pas un argument. Que serait alors un « argument » pour Mme Royal dans le cadre d’élections municipales ? JusMurmurandi croit avoir la réponse, il s’agit du « vote sanction », c’est-à-dire de l’argument zéro consistant tout à la fois à masquer sa propre vacuité par une opposition démagogique, tout en rendant politicienne une élection qui n’a pour seule visée que la gestion locale. Parler de la fiscalité locale serait donc, dans ces conditions, un faux problème, un faux argument également, que l’on ressortirait quand on est justement à court d’argument ; il semble pourtant que le taux d’imposition ainsi que la répartition de la dépense publique constitue l’enjeu majeur des scrutins locaux. Que Mme Royal n’ait donc développé comme seul argument en faveur des listes de gauche, « l’amplification du vote sanction », tout en reprochant à la droite d’être « à court d’argument » lorsque celle-ci rappelle la gestion pour le moins douteuse des régions et municipalités socialistes, voilà qui ne manque pas de faire sourire JusMurmurandi.

Mais le sourire de JusMurmurandi tend vers la franche hilarité lorsque, tout en expliquant que la fiscalité n’était pas un argument, Mme Royal cherche à « démontrer » que les chiffres de M. Devedjian sont faux. Contester les chiffres annoncés par M. Devedjian paraît singulièrement délicat, car il existe depuis quelques années un organisme chargé de recenser les dépenses et recettes des collectivités territoriales, la DGCL, ce que Mme Royal semble ignorer.

Ainsi, Mme Royal jure-t-elle qu’elle n’a pas « augmenté les impôts en Poitou-Charentes depuis trois ans, malgré les transferts de charges de l’État mal financés. »[3] Face à cette déclaration, JusMurmurandi a couru voir le rapport de la DGCL et selon celui-ci, la région Poitou-Charentes appartient à la catégorie des « territoires » qui n’ont pas augmenté le taux d’imposition en 2007 car… il avait très fortement augmenté en 2006 ou en 2005. Ainsi, sur les 15 régions qui n’ont que modérément augmenté les impôts en 2007, « 12 d’entre elles ont procédé en 2006 ou en 2005 à une hausse des taux supérieure à 14%. Constituent ce groupe de 15 régions l’Aquitaine, la Bretagne, le Centre, la Corse, la Franche-Comté, l’Ile-de-France, Midi-Pyrénées, le Nord-Pas-de-Calais, la Haute- Normandie, les Pays-de-la-Loire, la Picardie, Poitou-Charentes, Provence-Alpes-Côted’Azur, la Guadeloupe et la Martinique. »[4] Une véritable cartographie des régions socialistes…

M. Devedjian pointe également l’époustouflante augmentation des « dépenses de fonctionnement » chez Mme Royal ; si, en effet, les « frais de personnel » ont augmenté de 49, 7 % sur la seule période 2005-2006 et les intérêts de la dette de 39 % (car la région s’endette à un point tel que Mme Royal a dû retirer à Jean-François Fountaine la responsabilité des finances, à la faveur d’une humiliation publique dont elle a le secret, en refusant « la parole à son premier vice-président »[5] inquiet de l’explosion de ladite dette), on note que les dépenses d’investissement demeurent extrêmement faibles sur la même période ; il est également à relever que sur l’année précédente, les dépenses de personnel avaient augmenté de 15, 3 % et les intérêts de la dette de 43, 8 %[6]. JusMurmurandi n’aura pas la cruauté de rappeler qu’en 2004 déjà, les frais de personnel avaient augmenté de 17, 9 % et les intérêts de la dette de 59 %. Soit une hausse cumulée de 79 % des dépenses de fonctionnement, comme le rappelait M. Devedjian, ce que ne put contester Mme Royal dans sa réponse, refusant d’aborder le problème.

Mme Royal s’indigne également qu’on puisse lui reprocher d’avoir baissé le financement de la formation professionnelle et des lycées ; « les dépenses destinées aux lycées en Poitou-Charentes ne sont pas en baisse mais ont augmenté de 19 % entre 2004 (117,4 millions d’euros) et 2008 (139,9 millions d’euros). »[7] affirme l’icône poitevine, évacuant stratégiquement la question chiffrée de la formation professionnelle ; et pour cause ! JusMurmurandi s’est précipité vers les chiffres de la DGCL et a pu constater que de 2005 à 2006, les dépenses pour la formation professionnelle[8] étaient en baisse de 26, 5 %, tandis que sur le site des « budgets participatifs des lycées »[9] (sic !), ne figurait – significativement – aucune donnée chiffrée de l’évolution des dépenses, malgré le caractère participatif de celles-ci. En revanche, toujours sur le site de la DGCL, JusMurmurandi a pu noter que le budget de l’enseignement supérieur était en baisse pour 2007 de 9, 7 %[10], tandis que, de 2004 à 2006, la région n’avait étrangement pas communiqué les données quant aux dépenses scolaires. L’opacité sur les chiffres, telle semble être l’élaboration participative des budgets citoyens de Mme Royal…

JusMurmurandi souhaite, pour réconcilier Mme Royal avec les chiffres, lui en rappeler un, un seul : 46, 94 %, le score de Mme Royal au second tour de la présidentielle qui ressemble à s’y méprendre à l’augmentation annuelle des dépenses de communication de sa région…



 

[1] Patrick Devedjian, Fiscalité, dites la vérité M. Hollande, in Le Figaro, 12 mars 2008

 

[2] Ségolène Royal, Cessez de dire des contre-vérités, M. Devedjian, in Le Figaro, 13 mars 2008

 

[3] Ségolène Royal, Cessez de dire des contre-vérités, M. Devedjian, in Le Figaro, 13 mars 2008

 

[4] http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/donneeschiffrees/fiscal/notes_fiscalite/fiscalite_reg_2007.pdf

 

[5] Le Monde, 26 février 2008

 

[6] http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/Publications/finances_r%E9gions_2005/14_fiches_r%E9gions.pdf

 

[7] Royal, art. cit.

 

[8] http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/Publications/finances_r%E9gions_2006/17_fiche_r%E9gions.pdf

 

[9] http://www.democratie-participative.fr/tous-les-lycees/index.php

 

[10] http://www.dgcl.interieur.gouv.fr/donneeschiffrees/finances/bp2007/region/Publication%20globale%202.pdf

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