Faut-il taxer l’ « héritage » de mai 68 ?

avril 4, 2008 on 5:51 | In France, Insolite | Commentaires fermés

La saturation des célébrations de mai 68 rend Jusmurmurandi hilare ; de l’Histoire au Magazine littéraire, de Patrick Rotman à Laurent Joffrin, de Gérard Filoche aux Glücksmann père et fils, de Daniel Picouly à Jean-Pierre le Goff, nul mastodonte récurrent de l’édition française n’a cru bon de priver le lecteur de son avis autorisé sur le glorieux événement ; les média audio-visuels, loin de se cantonner aux restes, demandent à longueur de temps aux ribambelles ininterrompues de porteurs de pancartes s’ils se sentent porteurs d’un message ; et la réponse est inlassablement la même : « Au jour d’aujourd’hui où on célèbre mai 68 et l’espoir pour des millions de travailleurs, nous voulions nous poser en héritier de Mai et rappeler que nos retraites sont un héritage à préserver. »

 

Un héritage… Voilà probablement un des mots les plus honnis de mai 68 pourtant ; l’héritage, c’était la famille, la tradition, la transmission surtout ; ce mot portait en lui toute une certaine idée de la réaction, tout le poids de la reproduction sociale, tout l’abominable symbolisme du rentier. Quatre ans plus tôt, Bourdieu et Passeron avaient déjà dénoncé le système scolaire construit autour de normes sociales intériorisées par ceux qui maîtrisaient déjà le système, reproduisant à l’infini des conditions favorisant ceux que Bourdieu et Passeron avaient appelé pour mieux les stigmatiser les « héritiers ». JusMurmurandi s’imaginait donc que les innombrables hagiographies de « Mai » parues récemment, ainsi que ses non moins innombrables évocations médiatiques ne parleraient pas – sinon sur un mode ironique – de l’ « héritage » de Mai mais plutôt de son histoire, de son sens, de ses « luttes ». Fatale erreur ! Tout se passe plutôt comme si mai 68 ayant trépassé, il fallait en recueillir pieusement l’héritage et le sanctifier comme le legs spirituel – c’est-à-dire sociétal dans l’esprit de nos thuriféraires du « formidable événement » – le plus précieux d’un passé glorifié.

 

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Face à cela, JusMurmurandi pouffe, s’esclaffe, ricane ; quoi ? ce beau mouvement si hostile à l’héritage n’a-t-il d’accomplissement que dans l’héritage ? Faut-il vraiment préserver l’héritage de ce mouvement qui prit l’héritage et les héritiers en horreur, fustigeant la famille et l’idée de maître spirituel ? Les batteurs de pavé bourdivins d’hier ont-ils formé une génération d’héritiers voraces ? Hilare, JusMurmurandi ne peut s’empêcher de penser à tous ces socialistes généreux qui, après une longue tirade contre la famille et la tradition au nom du progrès et de la liberté, vous expliquent que s’ils sont de gauche c’est d’abord, et avant tout, par tradition familiale

Néanmoins, conciliant, JusMurmurandi formule l’hypothèse que mai 68 constitue un héritage et pose aussitôt une question honnête : faut-il taxer mai 68 ? Les « héritiers » de mai 68 auraient certes pu savoir gré à Nicolas Sarkozy d’avoir porté à 95 % le pourcentage de successions exonérées dans le cadre de la loi TEPA si toutefois ils n’avaient pas appartenu aux 5 % restants…

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